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russes Giaouars, un peu, au-delà d’Askabad, où l’oasis des Akkal-Tekkés prend fin. Passé ce point, les routes, directes vers l’est se perdent de nouveau dans des régions sablonneuses, inhabitées ; ces routes traversent une rivière à cours, intermittent, le Tedjen, à la hauteur de la ligne frontière, entre la Perse et l’Afghanistan ; elles se reperdent dans le mauvais pays et aboutissent, à 200 kilomètres environ d’Askabad, à une grande oasis alimentée par le Mourghab, qui descend des montagnes afghanes : c’est Merv, le point de rencontre de tous les chemins montant du sud vers le Turkestan oriental, la dernière station qui manquait aux Russes pour se relier de ce côté à leurs possessions de l’Amou-Daria, à Boukhara et à Tachkend, pour fermer complètement ce grand demi-cercle dans lequel ils ont englobé l’ancienne Tartarie indépendante.

Merv a une glorieuse histoire ; ce fut une des capitales de l’ancien monde, sous les rois parthes, du moyen âge oriental, sous les émirs arabes et les sultans seldjoukides. Elle lutta avec Samarkand pour la puissance, la richesse, le renom de ses mosquées. Aujourd’hui encore, les Persans l’appellent Chah-i-Djouhan, le « Seigneur de l’Univers » et l’écrivain anglais Marvin intitule le livre qu’il lui a consacré : « Merv, la ville reine du monde. » Pour justifier ce titre, il ne lui manque qu’une seule chose, d’être une ville. La vieille cité a souffert à diverses reprises ces formidables destructions, qui marquaient le passage des conquérans asiatiques. Djenghiz-Khan y égorgea sept cent mille personnes, et éleva dans le désert une de ces pyramides de crânes, fidèlement reproduites par le peintre Véreschaguine dans ses lugubres tableaux de l’Asie centrale. A la fin du dernier siècle, Mourad, émir de Boukhara> rasa, ce qui restait de la ville et emmena la population en captivité sur l’Amou-Daria. Les canaux d’irrigation du Mourghab qui faisaient de l’oasis un jardin et un grenier de céréales, se perdirent, abandonnés et comblés par le sable. Depuis lors, les tribus tourkmènes sont restées seules maîtresses de ce territoire ; Merv n’est plus qu’un camp retranché comme, celui de Gœuk-Tépé, abritant quelques milliers de kibitkas, ces petits, chariots sur lesquels vivent les nomades. On estime à deux cent cinquante mille âmes environ cette population errante. Ces Tekkés de Merv, comme, leurs frères, de l’Akkal, sont une race vaillante et primitive, gens, de peu de besoins, et de peu de scrupules, pasteurs de troupeaux.et pillards de leurs voisins. Leur réputation est suffisamment établie dans toute l’Asie centrale par ce proverbe : « Si tu rencontres une vipère, et un Mervien, tue d’abord le Mervien, tu t’occupera après de la vipère. » Le proverbe ne les calomnie pas ; en dehors du maigre produit de leurs troupeaux, ils n’ont d’autres ressources que le butin rapporté de leurs razzias dans les vallées afghanes et persanes. En l’absence de tout commerce et des