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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/234

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écoles où les enfans vont recevoir les premiers, les plus simples élémens d’instruction, on ne le sait pas bien ; on ne le saurait même pas du tout si ce mot d’enseignement « laïque » ne signifiait pas tout bonnement ici l’exclusion de tout ce qui est religieux, d’une croix de bois aussi bien que d’un catéchisme ; et le complément naturel de ce genre d’instruction, c’est nécessairement un personnel tout laïque. Il faut des instituteurs laïques qui seront chargés de faire de la propagande pour les idées nouvelles, — et au besoin de la propagande électorale pour le candidat républicain ! — La loi est faite pour cela ; mais c’est ici que la difficulté commence. Avec la meilleure volonté, on ne peut pas tout réformer en un jour ; on ne peut pas faire qu’il y ait un personnel laïque tout prêt et suffisant. Il y a encore dans les écoles communales près de six mille frères de la doctrine chrétienne et quelque vingt mille sœurs enseignantes. Les uns et les autres, à la vérité, ne donnent qu’une bien médiocre ou une bien dangereuse éducation à la jeunesse ; on ne peut pourtant pas les remplacer du soir au lendemain. Qu’à cela ne tienne ! on les laissera provisoirement à leurs fonctions, on les gardera pour cinq ans, pour dix ans, jusqu’au jour où l’on pourra s’en débarrasser. Le procédé est en vérité étrange, et M. l’évêque d’Angers a eu bien raison de dire : « Si ces instituteurs et ces institutrices congréganistes sont si peu propres à préparer les enfans à la vie sociale, s’ils sont indignes et incapables, s’ils sont aussi dangereux qu’on le prétend pour l’ordre politique et social, ce n’est pas dans cinq ans, dans dix ans qu’il faut les renvoyer ; c’est tout de suite qu’il faut les exclure. — Si on ne les renvoie pas, si on leur laisse le soin d’instruire dans des écoles publiques plus d’un million et demi d’enfans, c’est qu’on sait bien qu’ils ne créent aucun danger. Comme on n’a pas de raison plus sérieuse et comme on ne se gêne pas avec eux, on trouve plus simple de leur dire : Vous êtes de braves gens, mais vous êtes des religieux que nous n’aimons pas. Nous vous gardons parce que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous ne vous admettrons pas, par exemple, à partager l’augmentation de traitement que voulons assurer à nos instituteurs laïques, et ce sera une économie. Nous vous dirons quelques injures, et aussitôt que nous le pourrons, nous vous renverrons ! » C’est là ce qu’on appelle une manière habile et équitable de traiter des instituteurs publics dont on accepte encore les services, de ménager la transition et de préparer l’avènement de l’instruction primaire « laïque, » qui doit refaire une France nouvelle selon les idées de M. Bert et de ses amis.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que M. Paul Bert, pour justifier l’âpreté avec laquelle il poursuit la réalisation de son programme, invoque sans cesse la volonté nationale, le suffrage universel, le voie du pays dans les dernières élections. Peu s’en faut qu’il ne se consi-