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LES
MAGISTRATS ET LA DEMOCRATIE

UNE EPURATION RADICALE

L’assaut livré à la magistrature ne peut laisser indifférens ceux qui ont souci de l’ordre matériel et de la sécurité publique. Seuls, les esprits légers croient la querelle vidée par une première épuration des juges. A les entendre, la justice, entravée jusque-là par bien des préjugés, a subi dans sa marche une secousse qui ne changera ni ses conditions ni son influence. Tout autre est, suivant nous, le caractère des faits. La crise ouverte depuis cinq années, et dont nous venons seulement de traverser une des phases, n’approche pas de son terme. Entre l’ordre judiciaire et les instincts démagogiques le conflit est permanent. Le peuple, dès qu’il exerce directement le pouvoir, cherche à asservir les juges. Partout il l’a tenté. En Amérique, les auteurs de la constitution ont fait en quelque sorte la part du feu : ils ont sacrifié la justice locale pour sauver la justice fédérale. En Suisse, les électeurs cherchent à dominer les tribunaux, que le bon sens de certains cantons dispute aux caprices des scrutins.

Cet antagonisme est d’autant plus grave que l’indépendance et la fermeté du juge, utiles sous tous les régimes, sont plus nécessaires encore sous une république. En effet, le désordre naît toujours de ceux qui, possédant la puissance matérielle, prétendent en abuser pour