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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/316

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attachées à sa perte. Un président de chambre avait été nommé par M. Dufaure. Sa vie absorbée par les devoirs du barreau, ses convictions politiques portaient le reflet des sentimens de l’ancien garde des sceaux. Magistrat depuis 1839, il avait refusé le serment en 1852, et il était demeuré pendant tout l’empire au premier rang du barreau : tout dévoué aux idées libérales, il avait accepté sous M. Thiers des fonctions judiciaires et n’avait pas tardé à prendre le premier rang dans une cour où il semblait destiné à occuper la plus haute place. Il a été destitué sans doute parce que sa présence eût été la condamnation du chef qu’on avait la hardiesse d’imposer à la compagnie ; peu de jours après, pour bien marquer qu’il n’y avait pas eu d’erreur, son fils et le beau-frère de son fils furent également chassés.

Il ne suffisait pas de frapper les opinions modérées qui représentaient, dans la personne des libéraux, l’esprit de la république conservatrice, telle que la voulaient M. Thiers et M. Dufaure. Il fallait faire un pas de plus et plaire non seulement aux opportunistes, mais aux purs radicaux. En certaines villes, on rencontrait dans les rangs de la magistrature des hommes qui avaient traversé noblement nos épreuves de 1870. Jetés dans les prisons par l’émeute qui s’était emparée d’une de nos grandes villes, ils avaient échappé à la mort, et, sur le siège où ils étaient remontés, ils avaient été l’honneur de la cour. L’un d’eux survivait et telles étaient ses lumières qu’on en parlait à l’égal de son caractère et de ses vertus. En vérité, il y avait là une victime de choix et on conçoit que la chancellerie ait voulu la livrer en otage aux anarchistes de Lyon. Partout où elle en a trouvé de semblables, l’œuvre a, d’ailleurs, été poursuivie avec une remarquable unité.

Il semble qu’on ait eu dessein d’exclure tous ceux qui avaient montré quelque dévoûment à la patrie. Dans une cour siégeaient trois magistrats qui avaient pris part spontanément à la défense du territoire envahi, s’étant engagés sans y être forcés sous les drapeaux, allant se battre au premier rang, et revenant porter la robe du magistrat, sur laquelle on voyait briller une croix dont leurs collègues étaient fiers de raconter l’origine. Tous les trois ont été renvoyés le même jour de cette cour qu’ils honoraient.

Mais pourquoi s’étonner de ces lamentables désignations ? La haine a fait tout oublier, tout, jusqu’au patriotisme. Lorsqu’en 1871 la France s’est relevée et qu’elle a cherché à panser ses blessures, elle a vu venir à elle des provinces qu’elle avait perdus, des magistrats ayant fait partie des ressorts des cours de Colmar et de Metz. A ceux qui étaient originaires des contrées de l’Est les Allemands avaient fait les propositions les plus séduisantes ; ni l’avancement, ni les perspectives de l’ambition satisfaite n’avaient