Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’état véritable de la bourgeoisie. Nous apprenons par là ce que pense la France, partout où elle réfléchit.

Pour nous, il nous est impossible de voir ce que le gouvernement a gagné à la loi du 30 août 1883. Il a mécontenté toutes les familles qui tiennent de près ou de loin à la justice. Il a satisfait des haines dont le caractère est de devenir plus exigeantes à mesure qu’on leur cède ; il n’a sacrifié qu’une partie de la magistrature, et déjà on lui demande le reste. Pendant ce temps, les journaux anarchistes, qui ont obtenu en cinq ans l’amnistie totale, la guerre antireligieuse et l’exclusion de la plus grande partie de la magistrature, redoublent de violence. Avec une science infernale, ils multiplient les incidens de personnes, les scandales vrais ou faux pour ameuter contre les prêtres, les religieuses et les officiers les haines populaires. La politique du scandale remplit leurs colonnes. Quel profit le gouvernement a-t-il trouvé à être pendant un an le complice de ces ennemis de tout ordre social ? Leur calcul est évident. En affaiblissant la magistrature, ils rêvent d’anéantir les lois. Grâce à Dieu, la cour de cassation leur a échappé, un grand nombre de sièges sont jusqu’ici à l’abri de la contagion ; mais qui peut assurer que certains tribunaux ne leur appartiennent pas ? que certaines cours ne soient pas atteintes ? Et l’action publique, a-t-elle conservé toute son énergie ? L’impulsion se fait-elle sentir ? Nos regards ne sont-ils pas blessés chaque jour par des publications, des dessins qu’une société réglée ne devrait pas tolérer ? La sécurité publique est-elle suffisamment protégée ? La police rurale s’exerce-t-elle avec vigilance ? Quand un intérêt privé est en conflit avec un intérêt électoral, le magistrat se sent-il indépendant ?

Voilà les points sensibles, les sujets principaux sur lesquels les méditations d’un gouvernement soucieux de lutter contre les progrès croissans du jacobinisme devraient se porter.

La démocratie est le pire des régimes ou le plus grand des stimulans suivant qu’un pouvoir se met à la suite des passions de la foule, attend d’elle l’initiative et subit en esclave les injonctions et le despotisme de ses fantaisies, ou qu’il se met au-dessus des caprices pour deviner les grands intérêts du peuple, les prévoir, les étudier, les soumettre à la libre discussion et les réaliser au profit de la prospérité générale. Malheur aux gouvernans qui, voulant flatter les instincts de la basse démocratie, lui donnent à dévorer successivement le clergé, la magistrature et l’armée !

Pour des politiques sages et hardis, pour de vrais libéraux, il y aurait, à l’heure présente, de grandes lois de réformes à soumettre aux chambres. Tous ceux qui, en notre pays, ont souci de la justice, quels que soient leur origine et leur parti, s’accordent depuis longtemps à reconnaître que, loin de multiplier les épurations, il faut