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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/323

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plus sévère, et aucun n’avait encore obtenu la permission d’exercer un métier dans Rome. Cette fois, l’occasion semblait meilleure pour eux. On était à la veille des luttes de Marius et de Sylla ; la rigueur des mœurs anciennes avait beaucoup fléchi, et l’on ne se préoccupait guère de respecter les vieilles maximes. Cependant, les censeurs, qui étaient Cn. Domitius Ænobarbus et L. Licinius Crassus, le célèbre orateur, montrèrent une sévérité à laquelle on ne s’attendait pas et firent impitoyablement fermer les nouvelles écoles. Nous avons conservé l’édit qu’ils publièrent en cette circonstance. On y lit cette phrase curieuse : « Nos ancêtres ont réglé ce qu’ils voulaient qu’on enseignât aux enfans et dans quelles écoles on devait les conduire. Quant à ces nouveautés qui sont contraires aux habitudes et aux mœurs de nos pères, elles nous déplaisent et nous les trouvons coupables ». Voilà un texte formel qui semble affirmer qu’il y avait un système officiel d’éducation dans l’ancienne Rome. Mais Cicéron parle tout autrement. Il dit en propres termes qu’à Rome « l’éducation n’était ni réglée par les lois, ni publique, ni commune, ni uniforme pour tous », et il ajoute que Polybe, qui d’ordinaire faisait profession d’admirer les Romains, les blâmait sévèrement de cette négligence.

Ces deux témoignages ne sont pas aussi contraires qu’ils paraissent l’être au premier abord, et il est possible de les concilier ensemble. On peut croire, avec Cicéron, que, tant qu’a duré la république, il n’y a pas eu de loi écrite qui réglât l’éducation de la jeunesse romaine ; mais rien n’empêche d’admettre, avec les censeurs, qu’il y avait à ce sujet des traditions, des coutumes, fidèlement suivies perdant des siècles, et dont les esprits sages ne voulaient pas qu’on s’écartât. Pour un Romain de l’ancien temps, les lois n’étaient pas plus sacrées que les vieux usages ; Ennius n’avait-il pas dit : « C’est sur les mœurs antiques que repose la grandeur de Rome ? »

Ces vieux usages sont assez bien résumés dans une lettre intéressante de Pline, où il regrette beaucoup qu’ils se soient perdus. « Chez nos ancêtres », dit-il, « on ne s’instruisait pas seulement par les oreilles, mais par les yeux. Les plus jeunes en regardant leurs aînés apprenaient ce qu’ils auraient bientôt à faire eux-mêmes, ce qu’ils enseigneraient un jour à leurs successeurs ». C’est dire que l’éducation était alors toute pratique et que ses exemples servaient de recours au Romain de grande famille ne connaissait que deux métiers, la guerre et la politique ; il apprenait la guerre dans les camps. Après quelques exercices préparatoires au champ de Mars, où les jeunes gens s’habituaient à manier l’épée, à lancer le javelot, sauter à courir, à se jeter tout suans dans le Tibre, ils partaient pour l’armée. Là, dans la tente du général, dont ils formaient la