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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/325

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suit en maugréant. — C’est une scène prise sur le vif, et plus d’un pédagogue de Rome, a dû s’entendre dire la phrase de Pistoclère.

Cette éducation pratique, au moiras dans ce qu’elle a de meilleur, fait souvenir de celle que les Athéniens donnaient à leurs enfans pour en faire des citoyens accomplis. Celle-là ne reposait pas seulement sur d’anciennes coutumes, elle était établie par la loi. Le législateur, qui pensait avec raison qu’un état n’a pas d’intérêt plus grave, avait pris soin d’en régler minutieusement les moindres détails. Un Athénien devait servir son pays de vingt ans à soixante ; pour s’y préparer, de dix-huit à vingt ans, il était éphèbe. On appelait éphébie un noviciat obligatoire que la république d’Athènes imposait à tous les jeunes gens, au moment où elle allait leur accorder des droits civils et politiques[1]. Ce qui est surtout remarquable dans l’institution athénienne, c’est ce qu’elle a de large et de complet. Le citoyen est appelé à remplir des fonctions multiples ; l’éphébie n’en néglige aucune. On exerce d’abord le jeune homme au service militaire ; il apprend sous des maîtres spéciaux le maniement des armes et des machines de guerre. Pendant qu’il habite les forteresses, on lui enseigne l’art d’attaquer et de défendre les places. Pour l’habituer à dormir sur la dure, on le fait camper dans la plaine, et il en assure ainsi la tranquillité. Dans cette éducation active, la gymnastique, on le pense bien, n’est pas oubliée ; tous les exercices qui rendent le corps souple et vigoureux, la course, le saut, la lutte, le pentathle, occupent une partie de ces journées si bien remplies. Mais où l’on reconnaît surtout le génie d’Athènes, c’est que l’esprit n’est pas plus négligé que le corps. En même temps que soldat, l’éphèbe est écolier ; pendant qu’il s’exerce au métier des armes, il achève son instruction littéraire. Il suit les leçons des grammairiens, des rhéteurs, des philosophes les plus renommés. Il apprend la musique et chante des chœurs avec ses camarades. De temps en temps, on les fait composer entre eux : il faut qu’ils écrivent une pièce de vers dans le genre épique ou quelque discours, et l’on distribue des récompenses aux plus habiles. Ces travaux si difficiles, si variés, ne suffisent pas encore : voici un apprentissage plus important qu’on impose à cette jeunesse. L’éphèbe va devenir citoyen ; dans quelques mois, il disposera de la république, il nommera les chefs de l’état, il jugera leur conduite, il décidera de la guerre ou de la paix. Comment admettre qu’il soit mis en

  1. J’emploie les expressions mêmes dont se sert M. Dumont dans son livre sur l’Éphébie attique, et je ne fais guère que résumer ses idées. L’éphébie est une de ces intitulions dont les écrivains anciens se sont peu occupés ; seuls, ou presque seuls, les textes épigraphiques nous en ont conservé le souvenir. Elle ne nous est bien connue que depuis les travaux de M. Dumont et de ses camarades, ou de ses élèves de l’École française d’Athènes.