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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/343

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que les autres écoliers faisaient comme lui et que les résultats de cet enseignement étaient médiocres. Il en était de même en Afrique, où, du temps de Tertullien et d’Apulée, les lettrés parlaient grec aussi aisément que latin. Saint Augustin, qui a pourtant appris tant de choses, avoue que le grec lui causait, dans sa jeunesse, beaucoup de répugnance, et il est aisé de voir, dans ses œuvres, qu’il ne l’a jamais bien su. Ainsi s’accomplissait peu à peu la séparation définitive de l’Orient et de l’Occident. Les grammairiens latins étaient, au contraire, en fort grande estime. Tous les élèves passaient par leurs mains et restaient longtemps dans leurs classes ; aussi arrivaient-ils quelquefois à la fortune. Cependant l’opinion les mettait fort au-dessous des rhéteurs. Dans l’œuvre d’Ausone, les rhéteurs nous apparaissent comme de grands personnages que l’empereur vient souvent prendre dans leurs chaires pour les attacher à sa personne, comme secrétaires d’état, ou même pour en faire des gouverneurs de province et des préfets du prétoire. Ceux qui n’arrivent pas à cette fortune et qui ne quittent pas l’école n’en ont pas moins, dans la ville où ils enseignent, une situation brillante. Ils font souvent de riches mariages, ils épousent « des femmes nobles et bien dotées ». Leur maison est fréquentée par la bonne société, leur table a de la réputation, et l’on y est attiré moins par les dépenses que fait le maître que par les agrémens de son esprit et le charme de sa conversation piquante.

Pour comprendre comment les professeurs arrivaient quelquefois à être riches, il faut songer que leurs traitemens pouvaient s’élever assez haut. Ils se composaient de sommes payées par l’état ou par les villes et d’une rétribution que donnaient les élèves, c’est-à-dire d’un traitement fixe et d’un traitement éventuel. L’état, dans les rares chaires qu’il avait dotées, était ordinairement assez généreux ; les villes, nous l’avons vu, ne se piquaient pas de bien payer les maîtres et de les payer régulièrement. La fortune, quand ils l’obtenaient, devait surtout leur venir de leurs élèves. Aussi travaillaient-ils à en attirer le plus qu’ils pouvaient dans leurs écoles. De là des luttes violentes entre eux, des rivalités passionnées, un désir ardent de se faire connaître et l’emploi de procédés fort étranges pour répandre leur réputation. Du temps d’Aulu-Gelle, les grammairiens et les rhéteurs de Rome fréquentaient les boutiques de libraires. Là les occasions ne leur manquaient pas pour étaler leur science et faire assaut de belles paroles. Le père de famille, qui ne se fiait pas à la renommée et voulait choisir lui-même le maître de ses enfans, allait les entendre et se décidait pour le plus beau parleur. En Grèce, où les professeurs abondent, le combat pour la conquête des élèves est naturellement plus vif et plus difficile. D’ordinaire,