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quand son école est fermée. D’ordinaire, il ne s’est pas marié. — Libanius disait à l’un de ses admirateurs, qui était venu lui offrir sa fille, qu’il ne voulait épouser que l’éloquence. — Ses élèves forment donc toute sa famille. Aussi vit-il avec eux dans la plus complète intimité ; ils assistent à ses repas, ils l’accompagnent dans ses promenades et le suivent même au chevet d’un ami malade. La vie qu’ils mènent dans sa compagnie nous parait fort grave et même légèrement ennuyeuse : pas un moment du jour qui ne soit consacré à des occupations savantes ; on lit pendant le repas ; en se promenant, on disserte. Le repos ne se distingue du travail que par la nature des questions qu’on traite. Ces questions, aussi bien celles des heures sérieuses que des momens de loisir, nous paraissent quelquefois minutieuses et futiles. Nous avons peu de goût pour ces recherches savantes et cette érudition de surface, mais alors on en était charmé. La grammaire, la rhétorique, possédaient les esprits et les rendaient insensibles au reste. Aulu-Gelle raconte qu’il revint un soir, sur un bateau, d’Égine au Pirée, avec quelques-uns de ses camarades. « La mer était calme », dit-il, « le temps admirable, le ciel d’une limpidité transparente. Nous étions tous assis à la poupe, et nous avions les yeux attachés sur les astres brillans ». Pourquoi croyez-vous qu’ils regardent ainsi le ciel ? Pour avoir quelque prétexte de disserter lourdement sur la vraie forme du nom grec et latin des constellations. Voilà ce que trouvent de mieux à faire des jeunes gens qui côtoient les rivages de l’Attique par une belle nuit étoilée ! Veut-on savoir ce qu’étaient pour eux les jours de fêtes et quelles folies ils se permettaient pendant le carnaval ? Aulu-Gelle encore va nous l’apprendre : « Quand nous étions à Athènes, nous passions les saturnales d’une manière à la fois très agréable et fort sage, ne relâchant pas notre esprit », — « car, suivant le mot de Musonius, relâcher son esprit, c’est la même chose que le lâcher[1] ou le perdre », — « mais l’égayant et le reposant par des conversations piquantes et honnêtes. Nous nous réunissions tous à la même table, et celui qui, à son tour, était chargé dés apprêts du repas, devait se procurer d’avance » — « quelque livre d’un ancien écrivain grec ou latin avec une couronne de laurier pour être donnée en prix au vainqueur. Puis il préparait autant de questions qu’il y avait de convives. Quand il en avait donné lecture, on les tirait au sort. Le premier commençait, et, si l’on jugeait qu’il avait bien répondu, on lui donnait le prix. Sinon, on passait au voisin, et, quand la question restait sans réponse, on suspendait la couronne à la statue du dieu qui présidait au festin. Quant aux sujets pro-

  1. J’essaie de rendre le jeu de mot qui se trouve dans le latin : Remittere animum quasi amittere est.