Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humiliante. Voilà des mesures dont la sévérité prouve à quels excès se laissait quelquefois entraîner la turbulence des écoliers.


VI

Le système d’enseignement dont nous venons d’étudier l’histoire n’est pas, comme tant d’autres institutions humaines, une œuvre du hasard, le produit de quelques circonstances fortuites ; il n’a pas été non plus imaginé de toutes pièces par des politiques, impose à l’empire par des hommes d’état prévoyans. À le prendre dans ses origines lointaines, c’est la réalisation d’une idée philosophique.

Tout le monde se souvient d’avoir lu, dans les prologues de Salluste, les belles phrases où il établit la supériorité de l’esprit sur le corps : « C’est l’esprit qui est le véritable maître de la vie. L’esprit doit commander, le corps obéir. Le premier nous rapproche des dieux ; l’autre nous est commun avec les bêtes. » Cette idée ne nous semble aujourd’hui qu’un lieu commun vulgaire, et nous sommes surpris de l’entendre proclamer d’un ton si solennel. Mais alors elle était nouvelle, surtout chez un peuple que sa nature portait à n’admirer guère que la force brutale. Aussi ne l’avait-il pas trouvée lui-même, elle résumait tout un long travail de la pensée grecque. Née dans les écoles des philosophes socratiques vers le IIIe siècle avant notre ère, propagée par les écrits des sages et parcourant le mande avec eux, acceptée peu à peu, chez les Grecs et les Romains, comme une incontestable vérité, elle finit par prendre un corps et se traduire en fait. Appliquée à l’éducation de la jeunesse, elle en changea le caractère. L’Hellène, dans les premiers temps, ne mettait pas une grande différence entre son esprit et son corps ; comme ils lui sont nécessaires tous les deux, il les soigne autant l’un que l’autre. L’idéal qu’il imagine, le dessein qu’il poursuit dans l’éducation de la jeunesse, c’est d’établir entre eux une sorte d’harmonie. Les philosophes ont dérangé l’équilibre ; en insistant, comme ils font, sur l’infériorité du corps, ils ont ôté le goût de s’en occuper, Aussi la gymnastique, qui tenait d’abord tant de place dans la vie des Grecs, ne tarde pas à être négligée et finit par disparaître.

Mais voici une autre conséquence : l’esprit étant le maître, le premier de tous les arts doit être celui qui donne le plus à l’esprit le sentiment de sa supériorité. Cet art, sans aucun doute, c’est l’éloquence. Cicéron Quintilien, Tacite, l’ont bien montré dans les admirables tableaux qu’ils tracent des assemblées populaires. Qu’on se figure, sur la place publique d’Athènes ou de Rome, un peuple entier réuni c’est-à-dire des gens endurcis à la peine, des artisans vigoureux, des paysans robustes. Ils savent qu’ils sont la force et