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l’éducation et la garde du roi mineur avec le commandement de sa maison militaire, il faisait peser sur le régent use odieuse et permanente suspicion. Ces dispositions, qui substituaient à la concentration excessive et personnelle du pouvoir une administration collective paralysant l’action du chef de l’état, rencontrèrent la double réaction aristocratique et parlementaire que faisait naître la fin du grand règne. Aussi, dans sa mémorable séance du 2 septembre, le parlement, le lendemain même de la mort de Louis XIV et avec un empressement significatif, déféra au duc d’Orléans, avec le titre de régent, tous les droits qui en dérivaient, la nomination du conseil de régence, la tutelle et la garde du roi mineur, ainsi que le commandement de sa maison militaire. Le prince, répondant aux sentimens qui venaient de lui attribuer l’autorité souveraine, rétablit le parlement (édit du 15 septembre) dans son ancien droit de remontrances suspendu par les déclarations de 1667 et 1673, et sacrifia le pouvoir ministériel à la noblesse, en remplaçant les secrétaires d’état par des conseils composés en partie de grands seigneurs.

Moins de quinze jours après la séance du 2 septembre, le nouveau gouvernement était organisé : six conseils correspondant aux anciens départemens ministériels étaient chargés d’examiner, de diriger, de décider toutes les affaires, et devaient les porter ensuite au conseil de régence, où elles seraient réglées à la majorité des suffrages : le régent conservait la disposition des charges, des emplois, des pensions, des gratifications. Le contrôle général était supprimé, et le duc de Noailles, président du conseil des finances, avait la direction des affaires.

La crise politique n’avait pas éteint la crise financière. A peine institué, le conseil de régence eut à pourvoir à l’acquittement de la dette exigible. Le duc de Saint-Simon proposa résolument de ne pas reconnaître les engagemens de Louis XIV ; mais, pensant que le régent ne devait pas compromettre son autorité nouvelle, a par un coup si violent, » il demanda que les états généraux fussent convoqués pour déclarer la banqueroute. Le duc d’Orléans était peu disposé à exposer le pouvoir qui venait de lui être confié aux agitations et aux incertitudes d’une assemblée : le duc de Noailles et le conseil repoussèrent unanimement la proposition par un sentiment d’honneur dont la sincérité ne saurait être mise en doute. Cependant, lorsqu’ensuite ils réduisirent arbitrairement les effets royaux, les rentes, les gages des offices nouveaux et les augmentations de gages qui avaient été vendus, et qu’ils chargèrent une chambre de justice de faire restituer aux gens d’affaires, aux banquiers, aux traitans, une partie de leurs bénéfices, ils ne firent que substituer des banqueroutes partielles à la banqueroute générale qu’ils avaient repoussée avec indignation.