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des arbres, occupaient le chemin qu’il devait suivre. Quand le grand-pensionnaire eut franchi l’arcade de la cour, ils marchèrent à sa rencontre, Borrebagh commença l’attaque en arrachant brusquement le flambeau des mains du serviteur qui le portait, pendant que Pierre van der Graef, enlevant au commis le sac qui lui était confié, l’empêchait de secourir son maître ; en même temps, de Bruyn, obéissant à la consigne qu’il avait reçue, se précipita sur Jean de Witt et l’atteignit d’un coup de sabre sur le cou.

Quoique surpris et sans armes, le grand-pensionnaire eut le courage et la présence d’esprit de saisir le meurtrier et de le terrasser. Ses complices vinrent aussitôt à son aide pour le dégager, et tandis que, dans cette lutte corps à corps, ils se meurtrissaient la main, ils firent à Jean de Witt de nouvelles blessures. Jacob van der Graef lui porta par derrière un coup de couteau qui, pénétrant dans l’épaule, le fit tomber à terre si violemment que la tête reçut une forte contusion. Les assassins, croyant qu’il était mort, se retirèrent en toute hâte, pendant que le grand-pensionnaire, qui n’était qu’ensanglanté, avait la force de se relever et rentrait dans sa maison. Les médecins des états, van der Straeten et Helvetius, et les deux chirurgiens de Wilde, qui furent appelés aussitôt auprès de lui, reconnurent qu’aucune de ses blessures n’était mortelle. Il se mit au lit avec une fièvre ardente, entouré des soins que lui prodiguaient son vieux père, sa vaillante sœur, Johanna de Witt, mariée à Beveren, seigneur de Zwyndrecht, et sa fille aînée Anna. Toujours fidèle à ses devoirs, il surmonta ses souffrances pour écrire aux états de Hollande une lettre calme et simple dans laquelle, remerciant Dieu de l’avoir sauvé d’une mort presque certaine, il leur racontait avec les détails les plus précis l’attentat auquel il avait échappé et les priait de le dispenser de remplir sa charge jusqu’à son rétablissement.

Les états de Hollande, en apprenant cette tentative d’assassinat contre le premier ministre de leur province, lui firent témoigner leurs tristes sympathies, auxquelles les principaux personnages de la république s’associèrent. Inquiets pour eux-mêmes et craignant un vaste complot, ils prirent pour leur sûreté les précautions nécessaires, en mettant sur pied les compagnies bourgeoises, qui s’empressèrent de répondre à leur appel. Ils ne se montrèrent pas moins vigilans pour la poursuite et la punition du crime. Ils prescrivirent à la cour de Hollande toutes les recherches qui permettraient de découvrir les coupables, firent fermer les portes de la ville pour les empêcher de s’échapper et promirent 5,000 florins à ceux qui les dénonceraient.

L’un d’eux, Jacob van der Graef, fils aîné du conseiller à la cour de Hollande, était déjà arrêté. Se croyant sûr de l’impunité, et