Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

escortent le jeune prince et le conduisent à l’hôtel de ville, où il se rend à pied et la tête couverte. Les régens le suivent chapeau-bas et l’invitent avec empressement à prendre séance dans le conseil, mais ils se gardent de lui faire aucune ouverture, afin de le rendre responsable de la décision qui sera prise. Ils lui demandent s’il a quelque proposition à leur communiquer. Le prince, surpris de leur silence, dissimule son étonnement et leur rappelle qu’il n’est venu qu’à leur demande, afin d’écouter ce qu’ils ont à lui dire. Ceux-ci, sans se départir de leur réserve, le remercient de l’honneur qu’il leur fait en se rendant dans la ville et l’invitent à en visiter les fortifications et les magasins, espérant ainsi donner le change à la foule. Mais, au retour de cette tournée, les habitans, craignant d’être trompés, se pressent autour de son carrosse, et pour obéir au mot d’ordre qui leur a été donné par le pasteur Henri Dibbets, refusent de le laisser sortir avant de s’être assurés du vote des régens.

Le prince s’étant contenté de déclarer qu’il était satisfait, les plus exaltés demandent à grands cris si les régens l’ont proclamé, déclarant qu’ils sauront bien lui faire rendre les charges de ses pères ; pour obtenir une réponse, ils couchent en joue l’un des bourgmestres, qui l’accompagnait. Vainement, celui-ci, se mettant à la portière, essaie de les calmer en criant : « Vive Orange ! » la foule irrité témoigne qu’elle ne se laissera pas abuser par de vains mots. Elle suit le prince jusqu’à l’auberge du Paon, où les régens lui avaient fait préparer un repas, et menace de les massacrer s’ils ne représentent pas l’acte destiné à rétablir en sa faveur le stathoudérat. L’un des séditieux entrant dans la salle et, s’adressant au prince, lui dit : « Que Votre Altesse demande tout ce qui lui plaira, et nous ferons en sorte qu’elle l’obtienne. » Les régens, obligés de céder, et n’osant pas quitter l’auberge sans avoir consenti à la satisfaction qui leur était imposée, ordonnent au secrétaire du conseil de rédiger la résolution dans laquelle ils déclarent qu’au nom de la ville, ils font choix du prince d’Orange comme stathouder. Le prince, prudent jusqu’au bout, se crut obligé d’invoquer l’engagement solennel qu’il avait pris le jour de sa nomination comme capitaine-général, en jurant obéissance à l’édit perpétuel. Il fallut que les régens le lissent relever de son serment par les deux pasteurs qui s’étaient signalés dans le soulèvement de la journée. Le premier acte de la révolution était accompli.

Dans cet entraînement auquel tous cédaient, il n’y eut qu’une seule tentative de résistance, et ce fut le frère de Jean de Witt, Corneille de Witt, qui, inaccessible à toute défaillance, s’opposa opiniâtrement aux impérieuses exigences de ses concitoyens. Lorsque la délibération qui prononçait le rétablissement du stathoudérat eut