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première nouvelle de l’insurrection de Dordrecht, l’un d’eux, voulant profiter de l’office religieux qui réunissait les habitans à la grande église, fit occuper par sa compagnie les avenues qui y conduisaient et obligea tous ceux qui sortaient du prêche à se déclarer partisans du prince ou des états. Une assemblée se trouva ainsi improvisée pour demander la nomination d’un stathouder ; elle fut haranguée par le pasteur Borstius, et l’un des régens, gagné à la cause orangiste, s’offrit pour transmettre aux conseillers la volonté populaire, pendant que le drapeau orange, hissé en haut du clocher de la ville, annonçait le changement de gouvernement, Menacés du pillage de leur maison et de la mort, les conseillers se réunirent pour sanctionner la résolution, à laquelle les deux bourgmestres opposèrent seuls une vigoureuse résistance. Le lendemain, des députés furent envoyés au prince d’Orange pour lui notifier sa nomination, et le bourgmestre qui les accompagnait ne craignit pas de lui dénoncer la violence faite aux magistrats. Celui-ci, mécontent, sans doute, de cette déclaration hardie, ou préoccupé de garder encore certains ménagemens, les accueillit avec une froide réserve. Il les reçut auprès de son camp de Bodegrave, sans descendre de son carrosse, ayant auprès de lui le commissaire des états-généraux, Beverningh, et se contenta de répondre qu’il n’accepterait la charge de stathouder que pour le bien de l’état.


III

Quand les mêmes scènes de violence se furent renouvelées impunément dans un grand nombre de villes de la province, les états de Hollande se trouvèrent désarmés et réduits à l’impuissance. Assaillis à la fois par les épreuves d’une invasion victorieuse et d’une révolution imminente, privés de la direction de leur grand-pensionnaire, retenu dans sa demeure par les blessures qui avaient failli lui coûter la vie, ils ne pouvaient plus ni arrêter ni ralentir un mouvement devenu irrésistible. L’union persévérante de tous les membres de leur assemblée aurait à peine suffi pour leur permettre de résister. Elle était déjà ébranlée par l’impatience de tous ceux qui se sentaient libres de manifester désormais leurs secrètes préférences ou qui étaient intéressés à s’assurer, par des témoignages de zèle tardif, les bonnes grâces d’un nouveau maître. Ils étaient néanmoins arrêtés par la crainte du parjure, l’édit perpétuel auquel les députés avaient prêté serment leur interdisant avec la plus grande rigueur toute proposition de rétablissement du stathoudérat. Aussi, les députés des deux villes les plus favorables aux intérêts du prince d’Orange, Leyde et Haarlem, s’étaient-ils contentés de proposer l’extension de ses pouvoirs militaires ; ils