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que ces problèmes soient des plus sérieux, qu’ils soient de plus toujours délicats, toujours difficiles à manier, cela n’est point certes douteux. Ils sont difficiles, ils ne sont pas absolument insolubles tant qu’ils restent dans leurs vraies limites. Évidemment si, dans cette grève qui se poursuit à Anzin, il n’y avait que des questions d’industrie, de travail et de salaire, elles ne résisteraient pas à un sérieux effort d’équité et de conciliation. On arriverait facilement à s’entendre, d’autant plus que la vieille et grande compagnie s’est toujours distinguée par sa sollicitude humaine et éclairée. Elle a pu avoir autrefois de grands profits, elle n’en a plus aujourd’hui, et tandis que ses bénéfices ont diminué, les salaires n’ont cessé de s’élever par degrés. Elle n’a rien négligé pour venir en aide à ses ouvriers par des retraites, par des maisons qu’elle met à leur disposition, par des écoles, par le chauffage gratuit, par les secours de toute sorte. Elle est la première intéressée à ne pas interrompre ses travaux, comme les ouvriers sont intéressés, de leur côté, à ne pas prolonger un chômage ruineux ; mais il est bien clair que c’est la politique qui s’est mêlée de l’affaire pour l’envenimer. C’est la politique qui est dans cette grève, qui la prolonge par ses excitations. Et, avec tout cela, à quoi arrive-t-on ? Une grande industrie souffre, cela est bien certain ; les ouvriers souffrent aussi : le travail diminue et la concurrence étrangère seule profite d’une crise entretenue par les propagandes socialistes.

Que le gouvernement lui-même comprenne le danger de ces agitations qu’on provoque, aussi bien que des lois de parti et des dépenses démesurées qu’on lui impose, nous le voulons bien. Le malheur est que le gouvernement n’ose pas toujours accepter franchement son rôle et ses obligations jusqu’au bout. Il suit son système, il veut et il ne veut pas. Qu’est-il arrivé, l’autre jour, à propos de cette dotation démesurée des instituteurs, que M. Paul Sert voulait faire voter à l’aveugle, sans plus de retard, par la chambre ? M. le ministre des finances, M. le président du conseil, ont résisté, ils ont eu raison ; mais, où était la nécessité de se réfugier dans l’équivoque d’un simple ajournement, de renvoyer la question au budget, comme si, au moment de la discussion du budget, on devait avoir les ressources qu’on n’a pas aujourd’hui ? Le ministre des travaux publics, M. Raynal, interpellé sur les affaires d’Anzin, a parlé, nous en convenons, en politique correct et mesuré. Il a rétabli la vérité qu’on cherchait à obscurcir sur le droit et le rôle de l’état, sur les rapports de la compagnie et de ses ouvriers ; mais, à côté ou autour de M. le ministre des travaux publics, d’autres qui se disent les amis du gouvernement, les défenseurs privilégiés de la république, n’encouragent-ils pas l’agitation ? Ces fédérations universelles d’ouvriers qu’on vient de créer par une loi définitivement votée maintenant, ne sont-elles pas une excitation permanente ?