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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/673

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pente, s’est frayé sa voie, en un mot que De Sanctis n’a pas fait école. Cela est vrai, De Sanctis n’a pas fait école, ne s’est point construit une chapelle, et ce n’est pas le moindre des services qu’il a rendus. Il a laissé à ses élèves pleine liberté d’opinion, de sentiment et d’allure, mais à tous il a communiqué le feu sacré. C’est ainsi qu’il a créé, non des copistes et des courtisans, mais des hommes. Il vivait avec ses « jeunes » et comptait sur eux pour faire l’Italie, où de son temps marquaient encore les Italiens, il se formait une très haute idée de l’enseignement : « L’état, c’est d’abord l’université, » dit-il un jour à la chambre. Et dans son fameux discours, la Scienza e la Vita, prononcé en 1872 à l’université de Naples : « Aujourd’hui, la vie se sent atteinte d’un malaise inconnu se manifestant par l’apathie, l’ennui, le vide; on court instinctivement là où l’on entend parler de matière, de force, des moyens de restaurer l’homme physique et de régénérer l’homme moral. La littérature et la philosophie, les sciences médicales et les sciences morales prennent toutes ce reflet et cette couleur. Refaire le sang, reconstituer la fibre, relever les forces vitales: tel est le mot d’ordre non-seulement de la médecine, mais de la pédagogie, non-seulement de la science, mais de l’art; relever les forces vitales, retremper les caractères et, avec le sentiment de la force, ranimer le courage, la sincérité, l’initiative, la discipline, l’homme viril et, par conséquent, l’homme libre. Les universités italiennes, aujourd’hui, sont détachées du mouvement national, sans action sur l’état, qui se déclare neutre, et avec très peu d’action sur la société, dont elles ne savent pas interroger les entrailles : ce ne sont plus que des fabriques d’avocats, d’architectes et de médecins. Si elles comprennent la mission de la science contemporaine; si, en usant de la liberté qui leur est donnée, elles affrontent des problèmes actuels et taillent dans le vif; si elles ont l’énergie de se faire elles-mêmes les chefs et les guides de cette restauration nationale, elles redeviendront ce qu’elles furent autrefois, le grand vivier des générations nouvelles, les centres vivans et rayonnans de l’esprit nouveau. » — « Il m’a ravi le cœur! » s’écria le vieux Gino Capponi en lisant ces paroles éloquentes. On comprend maintenant pourquoi les jeunes ont conféré à De Sanctis ce titre qui lui est resté : « le Professeur. »


MARC-MONNIER.