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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/693

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la Banque de France serait bien vite obligée de donner sa dernière pièce d’or ou de reprendre le cours forcé. Il est vrai que le cours forcé n’effraie pas beaucoup ce pays-ci après l’expérience qui en a été faite. Pourtant, il y a une grande différence entre le cours forcé qui est imposé par la guerre ou une révolution, et celui qui résulte d’une mauvaise situation commerciale et financière. Dans le premier cas, on émet du papier-monnaie, parce que la circulation métallique se dérobe et se cache et qu’il faut bien pourvoir aux besoins de l’échange; dans le second, au contraire, le cours forcé est le résultat de l’abus qu’on a déjà fait des billets de banque, et, si l’on vient en ajouter de nouveaux, on aggrave le mal et on prolonge la crise : c’est de la médecine homéopathique appliquée à la circulation fiduciaire, il est douteux que le remède soit bon. Nous voulons bien admettre que les billets non réalisables immédiatement seront parfaitement payés un jour ; en attendant, ils exercent une influence fâcheuse sur les affaires.

On confond volontiers l’abondance des instrumens d’échange avec les capitaux disponibles et on dépense outre mesure jusqu’au jour où l’on s’aperçoit qu’on est allé trop loin et que capitaux et instrumens d’échange sont deux choses parfaitement distinctes qu’il ne faut pas confondre. Alors la crise arrive. Nous payons un peu cher la grande et légitime confiance qu’inspire la Banque de France et surtout les services qu’elle rend au trésor. Que cette banque prête son concours à l’état dans certains momens, cela se comprend, c’est la conséquence du monopole dont elle jouit; mais il ne faudrait pas en abuser, car les facilités que rencontre l’état auprès de la banque le portent à exagérer ses dépenses, grossissent la dette flottante et grossissent aussi beaucoup trop la circulation fiduciaire. Cette circulation est donnée comme si elle représentait des affaires commerciales et elle ne représente pour une partie que des embarras budgétaires; c’est absolument comme si l’état l’émettait lui-même. Il n’y a de différence que dans la forme. En limitant à 3 milliards 500 millions l’émission, on a été guidé évidemment par cette considération qu’il ne fallait pas laisser toute liberté à la banque, parce que le trésor en abuserait pour ses besoins particuliers. Cette crainte était légitime, mais il eût été beaucoup plus simple et plus régulier de fixer la limite au-delà de laquelle le trésor ne pourrait rien demander à la banque et de laisser ensuite à celle-ci toute sa liberté pour l’émission, à deux conditions pourtant : la première que toute création de billets au-delà d’un certain chiffre serait soumise à un impôt comme cela existe en Allemagne ; la seconde que l’argent cesserait d’être considéré comme la représentation en numéraire des billets au porteur.

Dans la discussion qui a eu lieu au sénat sur la question des