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la banque et la panique devient générale : ce qui faisait dire à un ancien chancelier de l’échiquier qu’à ce moment suprême, l’act de 1844 faisait plus de mal qu’il ne pouvait faire de bien dans le reste du temps. La mesure prise par la Banque d’Allemagne est donc meilleure. Il n’y a pas de limite absolue posée à l’émission. On est sûr qu’on aura toujours des billets si on en a tout à fait besoin ; seulement, comme ils seront passibles d’un impôt assez élevé (5 pour 100), ils ne seront émis que s’il y a un intérêt réel à le faire et on les paiera ce qu’ils valent. Il y en a eu un exemple ; à la fin de l’année 1881, la banque a excédé l’émission autorisée d’environ 30 millions et a payé un impôt en conséquence. Quelques jours après, tout était rentré dans l’ordre. Nous voudrions la même chose en France, au lieu de cette liberté complète de l’émission, qui, sous prétexte de mieux répondre aux besoins réels du commerce, arrive à favoriser des spéculations insensées. M. Léon Say, dans sa discussion au sénat sur la question, a dit d’excellentes choses, entre autres que le taux du change est le baromètre de la circulation. Il est très certain, en effet, que, quand le change est défavorable et qu’on est obligé de payer des différences au dehors, on ne peut le faire qu’avec des espèces métalliques prises où on les prend ordinairement, c’est-à-dire à la Banque de France et contre remboursement de billets. Il faut bien alors que la circulation s’abaisse, ce qui fait naître souvent de grands embarras. On ne combat cette situation qu’en élevant le taux de l’escompte, et en faisant venir des capitaux étrangers. Le remède est généralement efficace, et il n’y en a pas d’autre. Ceci est excellent lorsqu’il s’agit de dégager notre situation au dehors ; mais, au dedans, en temps ordinaire, lorsque le change reste favorable et que la monnaie métallique ne s’en va pas, qu’est-ce qui indique qu’il y a trop de papier, et peut-on dire alors qu’il est indifférent que la circulation fiduciaire s’étende plus ou moins et qu’elle soit comme aujourd’hui de plus de 2 milliards en dehors des réserves métalliques ? Évidemment il y a là un abus à corriger.

Une autre précaution est encore à prendre pour que cette circulation fiduciaire ne dépasse pas les limites naturelles qu’elle doit avoir, c’est de débarrasser la Banque de la partie de sa réserve qui est une véritable illusion. Le conseil de régence a fait une grande faute lorsqu’il s’est opposé, à diverses reprises, à la démonétisation de l’argent ; s’il l’avait acceptée il y a déjà plusieurs années, quand on l’a proposée pour la première fois et qu’il n’y eût plus eu dans la circulation principale que l’or, l’argent restant à titre de monnaie secondaire, les embarras que nous subissons en ce moment n’existeraient pas : notre circulation de papier ne se serait pas élevée à 3 milliards 200 millions. Le public, averti du véritable état des choses, n’aurait point laissé les billets monter si haut ; il se serait