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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/702

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mots, lui tournant le dos, il s’en alla chercher ses bécasses. Voilà un trait qui peint un homme et qui doit donner à réfléchir aux alliés de M. de Bismarck, à tous ceux qui veulent chasser avec lui. Si jamais ils se trouvaient embourbés jusqu’aux aisselles, il croirait s’acquitter de tout ce qu’il leur doit en leur proposant de leur casser la tête et de leur procurer ainsi une fin convenable.

M. Busch ne nous en voudra pas de joindre quelques critiques à nos éloges. Les deux nouveaux volumes qu’il vient de nous donner sous le titre de Notre Chancelier[1] renferment plus d’une page agréable et piquante ; mais il aurait mieux fait d’en retrancher certains chapitres qui ne nous apprennent rien. Il a cousu le vieux au neuf, il a mêlé à l’inédit de longues citations des discours les plus connus de M. de Bismarck, de longs passages de ses lettres intimes que tout le monde a lues, de longs extraits des dépêches publiées par M. de Poschinger. Enfin il s’est pillé lui-même en reproduisant des pages entières de son premier livre, qui était composé avec plus d’art. Que ne s’épargne-t-il la fatigue des répétitions ! Ce qu’il a dit une fois ne s’oublie pas ; il donne aux vérités qu’il enseigne un tour si particulier qu’elles demeurent à jamais gravées dans la mémoire. On pourrait lui adresser ce compliment qu’une mère faisait à sa fille : « Il y a toujours à tous vos enfans la marque de l’ouvrier. »

Nous lui reprochons ses redites, le remplissage, la bourre dont il grossit ses volumes. D’autres l’accuseront d’être trop discret, trop avare de ses confidences. S’ils se flattent d’être initiés par lui à toutes les pensées secrètes de son maître, leur curiosité sera déçue. Il entr’ouvre quelquefois la porte qui conduit dans les coulisses de la politique et il la referme bien vite. M. Busch est un homme qui ne dit que ce qu’on lui permet de dire. Il y a çà et là dans son nouveau livre, comme dans le premier, quelques révélations qui ont fait scandale et n’ont pas été agréables à tout le monde ; mais on peut être certain que, dans ces rares occasions, il a été indiscret par ordre supérieur. C’est par ordre supérieur que M. Busch s’est permis de prétendre qu’en 1880 les Russes avaient tenté de se ménager des intelligences à Paris par l’entremise du général Obrutschef. « Les Français, lui dit à ce sujet M. de Bismarck, n’ont pas voulu les écouter ; ils nous ont informés eux-mêmes de ces tentatives, comme une femme vertueuse dénonce à son mari les propositions intervenantes qu’elle a reçues. » Les insinuations de M. Busch sont destinées à décourager les galans qui seraient disposés à nouer quelque intrigue avec nous. Dans une charmante comédie qui a été jouée plus de cent fois cet hiver, on voit un amant très épris se présenter à un rendez-vous

  1. Unser Reichskansler, Studien zu einem, Charakterbilde, von Moritz Busch, Leipzig, 1881.