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sa politique extérieure, qui n’a eu jusqu’ici rien de flatteur pour l’orgueil britannique et qui, même à l’heure qu’il est, semble assez flottante pour ne rassurer personne en Angleterre.

Le grand prépotent d’Allemagne qui manie avec tant de force et de dextérité tous les intérêts de l’Europe, qui fait et défait à son gré les alliances, ne laisse pas cependant d’avoir dans la vie ordinaire ses embarras et ses ennuis. Quoi donc ! ne s’est-il pas fait récemment une querelle avec les États-Unis ? La chambre des représentans de Washington a eu l’idée un peu singulière de voter une adresse de condoléance au parlement allemand au sujet de la mort d’un des chefs du parti progressiste, M. Édouard Lasker, qui est allé s’éteindre il y a quelques mois aux États-Unis. Les Américains, peu au courant de l’étiquette, et croyant choisir le personnage qui pouvait être l’intermédiaire le plus naturel entre les deux parlemens, ont envoyé leur adresse à M. de Bismarck lui-même. Malheureusement le chancelier, qui n’a pas gardé un bon souvenir de l’opposition de M. Lasker, n’a pas pris l’envoi en belle humeur et s’est fâché d’être pris pour un « facteur de la poste ; » il a renvoyé l’adresse d’un ton un peu cassant, assez dédaigneux, en laissant comprendre plus ou moins que la chambre des représentans de Washington n’avait qu’à se mêler de ce qui la regardait, sans se mêler des affaires parlementaires de l’Allemagne, et surtout sans le charger d’une mission pour laquelle il n’était pas fait. L’envoyé allemand à Washington a été chargé de communiquer cette réponse. Les Américains, à leur tour, ont trouvé le procédé un peu leste et ne l’ont pas caché. Ils ont ressenti l’injure à laquelle ils s’étaient, à vrai dire, un peu exposés en prenant parti, dans leur adresse, pour les opinions politiques de M. Lasker. L’incident assez médiocre et bizarre par lui-même était en train de s’aggraver. Fort heureusement on s’est arrêté à propos. M. de Bismarck s’est appliqué à panser quelque peu la blessure qu’il avait faite à l’amour-propre yankee. La chambre américaine a déclaré qu’elle n’avait à s’occuper ni des rapports des pouvoirs publics en Allemagne, ni des accidens auxquels avait pu être soumise la transmission de son adresse. Il y a eu à Washington, entre le ministre d’Allemagne et le secrétaire d’état, une conversation qui peut passer pour une plaisante comédie d’explications évasives. La querelle n’ira pas sans doute plus loin, elle s’apaisera d’elle-même ; elle n’est pas faite, dans tous les cas, pour mettre une grande cordialité dans les rapports du chancelier avec les États-Unis, surtout avec le représentant du gouvernement de Washington, dont le séjour à Berlin devient assez difficile. C’est, après tout, une petite tempête diplomatique ; mais il y a aujourd’hui pour M. de Bismarck des affaires intérieures plus sérieuses, une sorte d’événement parlementaire qui peut devenir gênant, qui peut du moins prendre une certaine importance.

Lorsqu’il y a quelques années, M. de Bismarck a commencé son évolution