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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/721

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disant d’un ton assez rude : « Tâchez donc que tout finisse le mieux possible! » Nul doute que la semonce impériale n’ait quelque influence sur le parlement et n’aide le chancelier dans ses luttes contre l’opposition. La loi de sureté finira probablement par être volée, M. de Bismarck aura certainement plus de peine à faire passer son socialisme d’état, et c’est ainsi que l’homme le plus puissant ne fait pas toujours tout ce qu’il veut, pas plus qu’il n’est à l’abri des petits ennuis diplomatiques.

Les Italiens ont, eux aussi, aujourd’hui leurs crises, leurs affaires délicates et même leurs deuils publics. Ils ont tout d’abord une crise ministérielle qui est née moins d’un vote hostile du parlement que d’une situation compliquée de beaucoup d’antagonismes, de conflits personnels, de discussions intimes. Depuis quelque temps déjà, le ministre de l’instruction publique, M. Baccelli, était vivement combattu à l’occasion d’une réforme universitaire qui a été l’objet de discussions laborieuses. Quelques autres ministres rencontraient dans le parlement une certaine animosité ou une certaine défiance qui créait plus d’une difficulté. Lorsqu’il y a peu de jours, le président de la chambre, M. Farini, froissé dans sa susceptibilité par quelques manifestations peu mesurées, a cru devoir donner sa démission, le ministère a eu son candidat, qui a été élu à la place de M. Farini; mais il s’est trouvé dans l’urne plus de cinquante bulletins blancs qui avaient été probablement déposés par des membres de la majorité et qui, sans être un témoignage d’hostilité déclarée, pouvaient révéler une intention de réserve à l’égard du cabinet. C’est ce qui a décidé cette crise qui se préparait, qui se déroule laborieusement depuis quelques jours et dont le dénoûment, à vrai dire, est fixé d’avance. C’est, en effet, le président du conseil, M. Depretis, qui est resté chargé de reconstituer le ministère.

M. Depretis n’est certes ni un Bismarck, ni même un Gladstone. Il est assez âgé et de plus passablement goutteux; mais c’est un vieux Piémontais solide, sensé, avisé, qui a su depuis bien des années s’établir aux affaires et qui, après la disparition des anciens chefs parlementaires de l’Italie, est resté un premier ministre presque indispensable. Il était d’autant plus désigné aujourd’hui que, dans le moment même où a éclaté cette crise nouvelle, l’Italie perdait un homme qui, seul peut-être, aurait pu disputer le pouvoir au président du conseil, M. Quintino Sella, à qui le parlement de Rome a rendu des hommages publics comme au mort le plus illustre. M. Sella était, lui aussi, un Piémontais de forte race, instruit, doué de sens pratique et d’une vigoureuse volonté. Ce n’était pas un politique aux idées élevées et il n’avait témoigné que de médiocres sympathies pour la France dans des momens difficiles; mais il avait rendu à son pays les plus éminens services en contribuant plus que tout autre à la réorganisation des