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à une répartition des actions sur les principes établis pour la liquidation et la réduction des autres dettes, relativement à leur origine ; en conséquence, « les actions et les dixièmes d’actions, visées, seront réduites à 50,000, suivant la réduction et la répartition qui en sera faite, relativement aux origines, et conformément au règlement arrêté en conseil. » Cette réduction arbitraire et inégale des actions d’une société privée, suivant des considérations d’équité et de personnes, est encore plus que la liquidation et la réduction des dettes de l’état un abus de pouvoir; car ici l’autorité publique n’a même pas qualité pour agir.

C’est une étrange destinée que celle des entreprises fondées par Law : leur développement prodigieux, le nombre et le prix des actions, l’énorme circulation des billets, les moyens violens employés pour les soutenir, leur chute rapide et profonde, ne sont pas plus extraordinaires que les procédés et les doctrines appliqués par les anciens adversaires du système à sa liquidation. Le droit que s’attribue l’état de réviser et de réduire les titres de la propriété mobilière et d’en modifier la répartition entre ceux qui la possèdent est plus excessif que la spéculation dont il a la prétention de réparer les effets et de corriger les injustices. C’est le principe même de la propriété mobilière qui est atteint et mis en question.

La liquidation prescrite par les deux arrêts du 23 novembre nécessita un travail presque aussi considérable, mais bien plus difficile et bien plus arbitraire que le visa ordonné par les arrêts du 26 janvier. Il fallut encore organiser, pour préparer les liquidations, cinquante bureaux comprenant de nombreux commis et dirigés par des maîtres des requêtes : quatre bureaux supérieurs, composés chacun de deux conseillers d’état et de deux maîtres des requêtes, furent chargés de prononcer en dernier ressort sur les réclamations et de régler définitivement, suivant des appréciations qui n’avaient rien de juridique, les droits de propriété des 511,009 déclarans sur les effets qu’ils avaient présentés au visa. Un conseil suprême s’assembla en outre chez le chancelier et réunit à des conseillers d’état les membres du conseil de régence qui voulaient s’y rendre[1], pour interpréter les règlemens, et pourvoir même aux cas imprévus par des dispositions nouvelles.

  1. L’appréciation du maréchal de Villars mérite d’être mentionnée : « Quant au conseil qui devoit s’assembler chez le chancelier, et à la tête duquel le régent avoit déclaré mettre les maréchaux d’Uxelles, de Bezons, le marquis de Canillac et moi, le régent se contenta de dire que ceux du conseil de régence qui voudroient se trouver chez le chancelier en seroient les maîtres. Je dis au chancelier : « Je ne connois aucun honnête homme qui veuille aller à ce conseil sans un ordre bien solide et bien exprès. Quant à moi, je désire très fort, ne pas le recevoir. Cette déclaration vague de la liberté d’alîer décider du sort de tant de familles n’est guère propre à tranquilliser le public. » Elle fut cependant donnée dans les mêmes termes que le régent l’avoit déclaré, et cet arrêt inspira quelques craintes de voir les fortunes de quelques favoris conservées et par conséquent les malheureux peu soulagés. » (Mémoires, p. 278.]