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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/863

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auxquels il faut ajouter les 3 millions de revenus abandonnés à la compagnie des Indes. Cet allégement considérable de la dette ne fut pas assurément l’effet direct du système, mais il fut le résultat de la liquidation générale, dans laquelle l’état trouva et saisit l’occasion de réduire de près de 50 pour 100 les arrérages annuels qu’il avait à payer à ses créanciers.

La compagnie ne disposa jamais de capitaux considérables pour ses opérations commerciales et coloniales. Quand elle se constitua, son fonds social fut formé en billets de l’état qui ne lui procurèrent qu’une rente annuelle de 4 millions; sa première création de 50,000 actions, les filles, émises à 550 liv., produisit 27,500,000 liv. dont la plus grande partie devait servir à payer les dettes de l’ancienne compagnie d’Orient, qui venait d’être réunie à celle d’Occident pour former la compagnie des Indes ; la seconde création de 50,000 actions, les petites-filles, émises à 1,000 livres, produisit 50 millions qui devaient être versés au trésor pour la concession des profits de la fabrication des monnaies ; on sait quelle fut la destination des 300,000 actions émises à la fin de 1719. La compagnie n’engagea donc pas plus d’une vingtaine de millions dans ses affaires de commerce, et ces capitaux ne furent pas perdus. Quant aux valeurs immenses qu’on vit naître, grandir et périr dans le mouvement désordonné de spéculation que provoquèrent l’émission des 300,000 actions et le projet téméraire de rembourser la dette publique, elles furent fictives et imaginaires. La France ne fut pas réellement plus riche qu’elle ne l’était auparavant, quand les 624,000 actions, se négociant à plus de 10,000 livres, paraissaient former 6 ou 7 milliards, et, par conséquent, elle ne fut pas plus pauvre quand le nombre et le prix des actions diminuèrent, et qu’en 1722 les 56,000 actions de la compagnie reconstituée, se négociant à 1,300 livres ou 1,400 livres, représentaient à peine un capital de 80 millions. Dans cette tourmente, la richesse nationale ne fut, à vrai dire, ni augmentée ni diminuée; mais les fortunes individuelles furent bouleversées et profondément troublées. Les ventes balançant les achats, la spéculation se borna, suivant l’expression de Saint-Simon, u à mettre le bien de Pierre dans la poche de Jean. » Les uns gagnèrent, les autres perdirent, et, les perdans étant plus nombreux que les gagnans, les gains, répartis entre un plus petit nombre de personnes, procurèrent à quelques-unes des fortunes colossales qui déchaînèrent l’envie. Si la somme totale des pertes dépassa celle des bénéfices, c’est que, dans la liquidation générale, l’état trouva le moyen de réduire le capital de la dette publique de 385 millions et les arrérages d’environ 40 millions. Sans cette circonstance, il n’y aurait eu ni déperdition sensible ni consommation,