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aux jésuites haïs par les politiques et par les huguenots. Quand on a cru trouver une contradiction entre la politique qui avait inspiré l’édit de Nantes et celle qui dicta l’édit de 1603, on s’est trompé : ce sont deux pages d’une même charte qui garantit aux uns comme aux autres toute la liberté religieuse compatible avec les nécessités de l’heure présente, car Henri IV n’allait jamais qu’à l’utile et au possible. C’est bien le même homme qui a signé ces deux pactes de tolérance et de paix intérieure. Il est à peine utile d’ajouter que le rappel des jésuites, en rassurant les catholiques, lui donnait une bien plus grande liberté d’action à l’extérieur et lui permettait, par exemple, d’appuyer ouvertement les protestans des Pays-Bas et de l’Allemagne sans offusquer le gros de la nation.

Henri IV fut, en effet, jusqu’à la fin de son règne, l’allié des princes protestans, mais, comme on l’a vu plus haut, parce qu’il fallait abaisser la maison d’Autriche. Sa politique étrangère fut nationale et sans mélange de propagande calviniste. Bien plus, il intervint à diverses reprises auprès d’Elisabeth et de Jacques Ier pour les catholiques anglais[1], auprès des états-généraux pour les catholiques des Pays-Bas[2]. Loin de délaisser les intérêts catholiques en Orient, il prit sous sa protection les pères de la terre-sainte et les religieux de Péra, fit rouvrir l’église de Galata et restituer au clergé latin les évêchés que les schismatiques avaient usurpés dans les îles de l’Archipel, empêcha le sultan, qui avait eu des différends avec la Toscane, d’exercer des représailles sur les évêques, latins ou grecs, de Chio, en un mot, ne cessa pas de lutter contre l’Angleterre pour rester à Constantinople, comme son prédécesseur François Ier, le représentant de toute la chrétienté[3]. Enfin il resta, depuis son absolution jusqu’à sa mort, l’ami du saint-siège.

Le joug de l’Espagne avait, plus d’une fois, paru dur à Clément VIII. Aussi s’appuya-t-il, dès qu’il put le faire impunément, sur le roi très chrétien. Celui-ci reçut et prit au besoin les conseils du pape, s’entretint longuement avec lui de tout ce qui pouvait intéresser la « république chrétienne[4], » se chargea plusieurs fois d’appuyer ses réclamations auprès des princes protestans et ne laissa

  1. Voir la lettre du 19 juillet 1605 à M. de Beaumont.
  2. Voir, entre autres documens, la remontrance faite en l’assemblée des états-généraux des Provinces-Unies par M. Jeannin, au nom du roi, en faveur des catholiques desdites provinces. (Les Négociations du président Jeannin, collection Michaud, p. 654 à 658.)
  3. Voir, dans l’ouvrage de M. Mercier de Lacombe, intitulé Henri IV et sa Politique, le chap. VI du liv. IV.
  4. Henri IV employait souvent cette expression à la fin de son règne, même dans sa correspondance avec notre ambassadeur à Rome (voir la lettre du 31 août 1609).