Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vint à les dompter, sans qu’ils se l’avouassent précisément eux-mêmes. Il mit ainsi tous les Français au service de la nation, ne laissant pas perdre une seule gerbe de la moisson qu’il était chargé de récolter sur le sol fécond de la France.

Il faut, pour mettre Henri IV à son vrai point de vue, comparer cette méthode de gouvernement aux procédés tout différens qu’employèrent ses contemporains et ses successeurs. Philippe II entendit tout réduire à sa volonté comme à sa foi, faisant observer l’une et l’autre par les supplices et résolu à ne jamais changer de système, ainsi qu’il l’écrivit à Maximilien, quand le monde tomberait sur lui. Il avait détruit les Maures de l’Andalousie et regretta, dit-on, de n’avoir pu détruire tous ceux de l’Espagne. Il ne pardonnait jamais à ceux qui lui avaient résisté : ses généraux mêmes lui devenaient suspects, comme le duc de Parme et le duc d’Albe, quand ils faisaient trop bien la guerre. Il mourut après avoir échoué dans toutes ses entreprises et préparé la décadence espagnole. Louis XIV marcha sur ses traces. Il essaya de détruire la Hollande, que son aïeul avait sauvée, et ne détruisit que notre système d’alliances en coalisant contre la France la maison d’Autriche et les protestans. A l’intérieur, il abaissa les parlemens, abolit les derniers vestiges de l’indépendance municipale et menaça de garnisaires les états provinciaux qui ne se conformaient pas à ses ordres absolus, oubliant « que cette puissance monstrueuse, poussée par un excès trop violent, ne saurait durer; qu’au premier coup l’idole se renverse, se brise et est foulée aux pieds[1]. » Enfin il révoqua ce qui subsistait encore de l’édit de Nantes : cinquante mille familles émigrèrent en Angleterre, en Allemagne, etc., portant à l’étranger leurs talens et leurs richesses : la Prusse fut défrichée, Berlin cessa d’être un village, et c’est à dater de cette époque qu’un Frédéric-Guillaume compta pour la première fois en Europe. Plus tard, la convention nationale essaya de nous régénérer en supprimant tous ceux qui ne pensaient pas comme elle : elle ouvrit une ère de discordes civiles qui n’est pas encore close et compliqua, pour une longue période, la tâche des hommes qui devaient chercher à fonder des institutions sur les débris de l’ancien régime. Henri IV vit autrement et vit mieux.


ARTHUR DESJARDINS.

  1. Fénelon, Télémaque, Conseils de Mentor à Idoménée.