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déjà tant exploité des Amis. — Un tel succès est assez peu fréquent pour qu’il ne soit pas inopportun de faire connaître aux lecteurs français, dans son ensemble, l’œuvre d’un écrivain qu’ils ne connaissent encore que par un seul de ses côtés.

M. Edmondo de Amicis, en parcourant le palais de l’Exposition de 1878, traverse rapidement les salles réservées à la presqu’île scandinave. Tout de suite, il se sent pris de tristesse devant « ces images et ces couleurs dont l’ensemble forme un grand cadre mélancolique, dans lequel la blancheur argentée des filigranes de Christiania met à peine un sourire... » Cette brève apparition d’une vie trop grave, où rien ne répond aux besoins de sa nature, suffit à le troubler; mais il se remet bien vite en se retrouvant en pays de connaissance : « Aux brumes du Nord, s’écrie-t-il avec un soupir de soulagement, succède en un clin d’œil la vaste étendue sereine d’un ciel printanier; un peuple de blanches statues, un éclat de cristaux, un miroitement de soieries et de mosaïques, une gaîté de couleurs et de formes qui éclaire tous les visages, égaie tous les cœurs, arrache à toutes les bouches le cri : « C’est l’Italie! » — En présence de son œuvre, on ne peut s’empêcher, je ne dirai pas de pousser le même cri d’enthousiasme, mais bien de s’écrier : « Voilà qui est méridional ! » Cela brille, cela luit, cela scintille. Il arrive que les cristaux sont de la verroterie, que la mosaïque est de couleurs trop vives, mais le bon soleil se charge d’harmoniser les nuances, et la variété des objets nouveaux déconcerte la réflexion. On part pour Constantinople, pour Fez ou pour Amsterdam, on patine sur les canaux de la Hollande, on se risque dans les caïques du Bosphore, on entre à l’Escurial, on considère du dehors une mosquée interdite aux giaours, — et les images s’entassent, et l’on passe par une série d’impressions qui ont à peine le temps de se formuler tant elles se suivent pressées; puis ces visions s’évanouissent, on en garde le sentiment d’un voyage trop rapide dont il ne reste que de vagues souvenirs. Ou, plus exactement, on croit qu’un causeur habile vous a conduit dans un panorama et vous a montré de petits tableaux à travers un verre grossissant, en vous racontant ses petites impressions particulières, que sa sensibilité facile et sa féconde naturelle exagèrent et multiplient.

Cette sensibilité raide, mobile, démonstrative, toujours en mouvement, toujours prête à s’épancher sur quelque chose, est la clé du talent de M. de Amicis. Elle exerce d’abord une continuelle influence sur sa manière de composer. M. de Amicis n’écrit pas tranquillement, en relatant ses souvenirs avec méthode, en entremêlant le récit de ses aventures de symétriques dissertations d’histoire ou de géographie, selon l’usage de beaucoup de voyageurs. Il parcourt ses notes prises au jour le jour : sa mémoire, à mesure qu’elle lui présente les objets qu’il a vus et qu’il veut dépeindre, les transforme et les embellit ; ses impressions ne lui reviennent point exactes, sèches, mortes,