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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/933

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Il a écrit ses vers au hasard, quand sa pensée se moulait sans effort dans la ferme poétique, et il a dû être fort étonné lui-même de constater un jour qu’il en avait de quoi remplir quelques feuilles d’impression. Seuls, ses deux volumes sur les Amis pourraient sembler une exception, par le fait même de la peine sans laquelle un tel sujet est condamné à demeurer banal. Mais il suffit de les parcourir pour voir que l’auteur n’est point sorti de son domaine habituel. Il a été amené un jour, par je ne sais quelle circonstance fortuite, à réfléchir sur l’amitié. Des souvenirs attendrissans sont venus se grouper autour de ses premières réflexions, il a évoqué des figures disparues, de légères amertumes l’ont fait sourire avec une paisible ironie. Or les observations de détails et des souvenirs étant sa matière littéraire habituelle, il s’est mis à les rassembler et à les diviser à mesure qu’ils se présentaient à lui, donnant ainsi satisfaction à son besoin naturel d’analyses microscopiques: « Parlons donc de l’amitié puisqu’elle occupe une si grande place dans notre vie. Voyons comment elle naît, comment elle se brise et se renoue, quels sont ses divers caractères suivant l’âge, l’esprit et l’éducation intellectuelle; quels sont ses obstacles, ses dangers, ses plaisirs, ses ennuis et ses amertumes; de quelle manière on discute entre amis, etc. » Ces minutieuses recherches amènent des anecdotes, des préceptes de morale, des réflexions humoristiques, des digressions dans des sens inattendus, — et cela remplit tout doucement sept cents pages. A une époque où la production littéraire est presque toujours un travail pénible, une telle manière de travailler ne suffit-elle pas à constituer une petite originalité ?

C’est peut-être à ce procédé, attrayant parce qu’il est agréable, que M. de Amicis doit, en partie du moins, son succès auprès de ses compatriotes. Les Italiens sont avant tout des dilettanti. Quand ils vont à l’Opéra, dans leurs théâtres organisés bien plus en vue de la conversation que du spectacle, ce n’est pas pour suivre d’un bout à l’autre le développement d’une savante œuvre d’art, c’est pour entendre un morceau favori ou un chanteur à la mode, l’air de bravoure du ténor ou la cavatine de la prima donna. Une fois le morceau entendu et applaudi, ils se mettent à babiller ou rentrent chez eux. Ce n’est point non plus par hasard que la mosaïque tient une si grande place dans l’art industriel national. Or les écrits de M. de Amicis sont justement de ceux qui peuvent le mieux satisfaire des goûts pareils : ses livres n’exigent aucune application; on n’est point obligé de les commencer à la première page et de les suivre jusqu’à la fin; on peut les ouvrir où que ce soit, on est sûr de trouver toujours une jolie description, une anecdote amusante, une fine miniature d’un alinéa. Comme en outre, selon l’expression si juste que Beyle, qui comprenait l’Italie, applique à l’un de ses plus brillans contemporains, il aime mieux « peindre