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Le mal, c’est qu’on ne peut plus ou l’on ne veut plus rien faire simplement, sérieusement, avec une raison impartiale et prévoyante, avec la préoccupation unique de l’intérêt public, du bien du pays. Autrefois, aux temps où un Portalis travaillait au code civil, où un Gouvion Saint-Cyr et un Soult préparaient leurs belles lois militaires, où un Guizot proposait sa forte et savante loi sur l’instruction primaire, où, sans distinction de régimes, se succédaient des œuvres dignes de rester des modèles, à ces époques de sagesse surannée et de libéralisme primitif, on se donnait la peine d’étudier les questions pour elles-mêmes. Les lois étaient conçues avec maturité, rédigées avec clarté, combinées de façon à étendre et assurer les garanties, à réaliser un véritable progrès dans la vie municipale, dans l’enseignement, dans l’ordre civil comme dans l’ordre militaire. Aujourd’hui, nous avons changé tout cela. D’abord l’étude attentive et impartiale des faits n’est plus nécessaire ; l’expérience est suspecte de réaction ! Ce qu’il faut, avant tout, c’est préparer des lois destinées à servir une domination de parti, une passion de secte, ou même quelquefois un simple et vulgaire intérêt électoral. Lorsqu’on s’occupa de l’organisation municipale de Paris, comme on l’a fait il y a quelques jours, pensez-vous qu’on songe à résoudre le problème d’assurer à la première ville de la France et du monde une représentation digne d’elle, plus conforme à son rôle et à ses grands intérêts ? Point du tout : il s’agit, entre opportunistes et radicaux, de trouver la combinaison électorale qui pourra donner une majorité aux uns ou aux autres. Lorsqu’on prétend reformer les institutions militaires, croyez-vous que la première pensée soit de créer une véritable armée, de lui donner une forte structure, la cohésion, les traditions, l’esprit militaire, ce qui pourrait, en un mot, assurer sa puissance au jour du combat ? Nullement, ou du moins ce n’est là qu’une considération secondaire. Ce qui préoccupe d’abord, c’est d’avoir une armée démocratique, de soumettre toutes les classes au joug égalitaire, de molester le bourgeois, — et surtout de ne pas exempter les séminaristes du service. Il n’est pas jusqu’aux affaires d’industrie où la politique de parti ne fasse irruption, comme on le voit à Anzin, et un questionnaire, soumis récemment à la commission d’enquête industrielle, proposait d’étendre les recherches, les interrogatoires d’une façon au moins singulière. Il s’agirait de demander aux ouvriers si leur liberté de conscience est respectée par les patrons, s’ils ont travaillé dans des couvens, s’ils n’ont pas été, par hasard, renvoyés pour avoir assisté à un enterrement civil ou pour avoir refusé d’aller à une cérémonie religieuse. Voilà qui renseignerait à merveille la commission d’enquête et l’opinion sur l’état de l’industrie dans notre pays, sur les causes des crises économiques, des grèves et des chômages ! Avec de tels procédés, avec ce système de publique, on ne peut évidemment arriver à rien. On ébranle les institutions les