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que sous la forme la plus discrète, la plus confidentielle, puisque personne n’a l’intention de rompre avec l’Italie. La question reste donc, pour le moment, tout entière dans ce que décideront le gouvernement du roi Humbert et le souverain pontife. M. le ministre Mancini, en contestant l’autre jour ce qui avait été dit au sujet de l’intervention de quelques puissances, a renouvelé l’assurance d’une grande modération. Le gouvernement italien est en effet le premier intéressé à ne rien pousser à l’extrême, à rendre le séjour de Rome possible pour le pape, à maintenir l’intégrité des garanties qu’il a proclamées lui-même pour assurer l’indépendance du gouvernement spirituel de l’église. Ce n’est pas seulement pour lui une affaire de dignité et d’équité, c’est aussi un intérêt très sérieux de politique extérieure.

Quant au souverain pontife, est-il à croire qu’il ait eu dès ce moment, comme on l’a dit, la pensée précise, arrêtée de quitter Rome et le Vatican, qu’il ait débattu ou laissé débattre dans ses conseils le projet d’aller à Jérusalem ou à Malte, à Brixen ou dans une ville d’Allemagne, à Majorque ou à Hyères? Il n’est point douteux qu’il serait reçu avec respect partout où il voudrait aller s’abriter. C’est là cependant une extrémité à laquelle le pape ne se résoudrait, selon toute apparence, que le jour où il ne pourrait plus faire autrement. Il y a longtemps qu’on a dit que la place du saint-père était auprès de la confession de Saint-Pierre. Quitter la confession de Saint-Pierre et s’en aller sur les chemins du monde, c’est peut-être un spectacle qui peut plaire aux imaginations vives, à ceux qui aiment les coups de théâtre; ce serait en même temps un acte si grave, impliquant de tels déplacemens, de tels troubles ou de telles incertitudes, qu’il y a de quoi réfléchir. Léon XIII s’est montré jusqu’ici un politique trop mesuré, trop habile pour céder à un premier mouvement, sous le coup d’un incident pénible. Il a prouvé qu’un pape, même dans des conditions difficiles, peut garder toute son autorité et traiter sans faiblesse avec les plus puissans. Ce qu’on a dit depuis quelques jours du départ prochain ou éventuel de Léon XIII n’est donc vraisemblablement qu’un de ces bruits qui courent de temps à autre. Au fond, le pape sent bien l’intérêt qui le fixe à Rome. L’Italie, de son côté, est intéressée à ne rien faire qui puisse aggraver la position du saint-père. L’Europe désire certainement qu’il n’y ait point un éclat, et c’est ce qui fait qu’on est sans doute encore loin d’une crise que personne ne voudrait précipiter.


CH. DE MAZADE.