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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/119

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penchant vers l’enfant, en l’arrachant au mal physique qui l’appauvrit, au mal moral qui le décompose, en fortifiant son corps, en virilisant son âme, la charité accomplit le grand œuvre entrevu par les hermétiques, elle donne l’élixir de vie, de la vie individuelle et de la vie sociale. On n’a de belles forêts qu’à la condition de ne répudier aucun sacrifice pour fertiliser les pépinières. Le vagissement du nouveau-né est peut-être la première inflexion de la voix d’un grand homme. Il est beau d’adopter les vieillards et de les conduire en paix jusqu’au seuil de l’éternité ; il est bien de soigner les maux incurables et d’en adoucir la souffrance ; mais il est mieux, il est plus utile au groupe humain dans lequel la destinée nous a fait naître de récolter les enfans, car ils gardent en eux un avenir dont on peut se rendre le maître et le bienfaiteur.

Cette glane à travers l’enfance maladive, vagabonde, vicieuse, moralement abandonnée, sera peut-être une moisson opulente. C’est de ce côté qu’il convient surtout de regarder et de diriger les impulsions charitables. Je sais que les âmes généreuses se préoccupent de l’enfance et cherchent à l’enlever aux milieux contaminés où la promiscuité des grandes villes la forcent de vivre et souvent la compromettent à toujours. J’ai raconté les efforts de l’abbé Roussel, que rien ne décourage, qui, à son Orphelinat d’Auteuil, vient d’ajouter une maison pour les petites filles, à Billancourt, et une colonie agricole pour les garçons, au Fleix, dans le département de la Dordogne. Je n’ignore pas les fondations de l’abbé Bayle, qui dépensa toute sa fortune à créer des asiles pour les orphelins de Paris et qui, n’ayant jamais fait que du bien, fut naturellement un des otages de la commune ; je connais l’œuvre que préside la baronne de Saint-Didier et qui, sous l’appellation un peu prétentieuse des Saints-Anges, prend les orphelines dès la deuxième année, les élève, les instruit, leur enseigne un bon métier et ne les quitte qu’à l’âge de vingt et un ans ; là, les besoins sont excessifs, car les subventions accordées autrefois par la préfecture de la Seine, par les ministères de l’intérieur et de l’instruction publique, qui favorisaient le développement d’une institution si particulièrement bienfaisante à l’enfance délaissée, ont été supprimées parce que la maison est sous la main des Sœurs de la Sagesse. En agissant de la sorte, avec une si brutale persévérance, ne s’aperçoit-on pas que c’est aux enfans malheureux que l’on nuit et non pas aux congrégations religieuses ?

Malgré les maisons secourables que je viens de citer, malgré bien d’autres qui s’ouvrent devant les pauvres petits sans mère, sans pain, sans abri, on peut multiplier presque indéfiniment les orphelinats où on les recueille, les dispensaires où on les guérit ; il n’y