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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/147

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Fonseca, président du conseil des Indes, pour obtenir la patente des pays découverts ou à découvrir par ses vaisseaux dans la Nouvelle-Espagne. En réalité, il se préoccupait moins de fonder des établissemens que d’emplir son trésor par de fructueuses razzias. Ce fut dans ce dessein qu’il réunit toutes ses ressources, au retour de Grijalva, pour armer une flotte imposante de dix bâtimens. D’ardentes compétitions s’élevèrent pour le commandement de l’armada. Il fallait à Velasquez un homme capable et sûr, qui ne le frustrât pas d’une part du butin.

Il y avait alors dans l’île un hidalgo des bons lignages d’Estramadure ; Hernando Cortez y Monroy. Quelques biographes l’ont dit vieux-chrétien ; c’était du moins le fils d’un capitaine, de race noble et pauvre. A dix-neuf ans, échappé de Salamanque, navré de quelques mauvais coups dans les équipées amoureuses de Séville, turbulent, inquiet, il regardait vers la mer ; une des voiles qui partaient de San-Lucar sur l’Océan occidental l’avait ramassé comme tant d’autres. Tombé à Saint-Domingue, il avait pris part à la conquête de Cuba et à quelques expéditions en terre ferme ; partout il s’était montré homme de bon conseil et de bras vaillant ; mais les emplois obscurs n’allaient pas à son humeur. En 1519, Cortez avait trente-quatre ans ; il guettait toujours une de ces occasions éclatantes de fortune qui flottaient dans l’air au XVIe siècle, appelant les téméraires. Jusqu’à ce moment, il avait peloté en attendant partie, vécu du revenu d’une petite commanderie d’Indiens, dépensé son ardeur dans les aventures galantes, auxquelles il était fort enclin et qui lui avaient attiré de fâcheux démêlés avec le gouverneur. Ce fut à lui pourtant que pensèrent deux familiers de l’entourage de Velazquez pour la capitainerie-générale de l’armada. Ces honnêtes courtiers firent accord avec leur protégé ; il devait partager avec eux toutes les dépouilles qu’il rapporterait de la Nouvelle-Espagne. Ainsi s’organisaient ces expéditions pour l’exploitation de l’Amérique, par des sociétés en commandite d’influences et de capitaux, de tout point semblables aux banques de nos jours. « Cet accord fait, Andrès Duero et le trésorier eurent de telles façons avec le Diego Velazquez, ils lui dirent de si bonnes et si mielleuses paroles, louant fort Cortez comme personne digne de cette charge et comme capitaine fort vaillant et qui lui serait fidèle,.. qu’ils le persuadèrent et que Cortez fut choisi pour capitaine-général. » Le gouverneur se rendit à grand’peine, il se défiait de l’homme. Comme il menait Cortez à la messe pour le présenter au peuple, le bouffon Cervantes cria derrière eux : « Prends garde, mon maître Diego, de ne point pleurer la mauvaise affaire que tu as faite à cette heure ! » Les meneurs de cette affaire battirent le fou pour lui fermer la bouche.