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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/20

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hésitation et timidité. Ce qui les retenait, ce n’était pas seulement la crainte bien fondée d’être mis en avant et de ne pas se trouver soutenus à la dernière heure par un roi qui ne passait pas pour esclave de sa parole ; un motif, plus pressant les arrêtait : tous ces princes étaient besogneux, leurs sujets ne l’étaient pas moins, et comment lever et enrôler des hommes sans argent ? Si Frédéric eût laissé ses parens et ses amis puiser dans sa bourse, il les aurait sans doute trouvés mieux disposés à le seconder. Mais lui-même n’avait que des ressources, limitées et de grands besoins, et une économie voisine de la parcimonie, dont son père lui avait donné l’exemple, était chez lui en qualité héréditaire. Qui donc se chargerait de faire les frais de l’association ? Dans cet embarras, Frédéric trouva tout simple de se retourner encore vers la France, et de lui faire payer par avance le secours qu’il n’était pas encore bien décidé à lui fournir. Mais la question était de savoir si on trouverait de ce côté des préteurs assez complaisans pour escompter de confiance des billets dont on n’était jamais sûr qu’ils ne seraient pas protestés à l’échéance.

Le doute à cet égard était assez fondé, et la proposition par elle-même de nature assez délicate pour que Frédéric crût devoir engager Valori à ailler lui-même en faire l’ouverture à Versailles : c’était la mission dont il voulait le charger, le jour même où il congédiait Voltaire sans lui en faire part. Mais telle était pourtant devenue son habitude de ne garder aucun ménagement avec les personnes, et surtout avec les Français, et de se railler des gens en face, au moment où il réclamait leurs services, qu’il ne réussit pas même à donner à sa communication la forme de la plus simple politesse. Il rédigea de sa main une note qu’il remit à Valori, et qui portait en tête cet intitulé : « Plan que devront suivre les Français, s’ils sont sensés. » — Après quelques indications données sur les mesures à prendre pour défendre le territoire français, les dispositions et l’effectif convenable pour les troupes à opposer soit à l’armée anglaise, soit au prince Charles de Lorraine, la note poursuivait en ces termes :

« Mais comme, dans les circonstances où se trouve la France, il ne suffit point de se défendre, et qu’il faut bien plus se procurer des secours étrangers, on ne peut assez penser à les trouver, et cela même le plus promptement possible. Ces secours ne peuvent se trouver qu’en Allemagne. Le roi de Prusse ne peut pas à la vérité secourir ouvertement la France sans contrevenir à sa paix avec la reine de Hongrie, mais il ne saurait se dispenser de donner son contingent à l’empire, quoiqu’il ne puisse le donner sans que d’autres princes s’associent dans l’Allemagne. La France peut faire réussir