Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si la taille des deux individus n’est pas trop différente et la durée de la gestation trop inégale entre les deux espèces. » Il n’est pas suffisamment incrédule à l’égard de la tradition qui fait descendre les chiens de l’Inde d’une chienne et d’un tigre. Il croit enfin à la génération spontanée, seulement, il est vrai, pour des animaux très petits ; ainsi les teignes viennent de la laine, les puces du fumier corrompu, les cirons du bois humide.

Les critiques que l’on peut adresser à la classification zoologique d’Aristote ne diminuent en rien la grandeur de l’œuvre. Toute classification, en effet, est nécessairement provisoire ; Buffon a même pu dire que ce procédé de la méthode n’a pas toute l’importance qu’on lui attribue d’ordinaire, qu’il est toujours plus ou moins artificiel, parce que la nature brise de toutes parts les cadres rigides qu’on lui impose et que les genres, les ordres, les classes n’ont d’existence que dans notre esprit. C’est aller bien loin ; mais un peu de scepticisme est permis quand on pense aux quinze ou seize classifications qui se sont succédé depuis Aristote et dont aucune n’a encore réussi à conquérir l’adhésion de tous les savans. Et sans doute le philosophe grec a mieux servi la science par ses observations si souvent exactes et pénétrantes, ses larges vues d’ensemble, ses intuitions de génie, qu’il ne l’eût fait en édifiant un système hâtif et condamné d’avance à périr.


V.


L’impulsion donnée par Aristote à la science de la nature fut féconde et durable. Son école fut avant tout une école d’observateurs sagaces qui appliquèrent à l’étude des diverses parties de la nature la méthode et les principes du maître. Dans la Vente à l’encan des sectes philosophiques de Lucien, Hermès, mettant à l’enchère un péripatéticien, fait le boniment de rigueur : « Vous voyez un homme qui peut vous dire par cœur quelle est la durée de la vie d’une mouche, à quelle profondeur pénètrent dans la mer les rayons solaires et quelle est la nature de l’âme d’une huître. Mais que diriez-vous si l’on vous rapportait des choses encore plus extraordinaires de cet homme ? Par exemple, ses opinions sur la semence et la génération, sur la manière dont se forme l’enfant dans le sein de sa mère, et si vous l’entendiez assurer que l’âne, non-seulement ne rit pas, mais qu’il ne peut ni charpenter ni ramer ! » De cette officine de tous les arts, comme Cicéron appelle l’école péripatéticienne, le plus grand ouvrier fut Théophraste, l’auteur des Caractères. Nous n’avons plus le Traité des plantes d’Aris-