merveilleuses. Prenez, pour choisir trois points, la première scène d’Antony avec Adèle, la dernière, et, entre les deux, le monologue qui précède le viol. Antony, après trois ans d’absence, retrouve mariée la femme qu’il aime ; elle l’appelle monsieur : « Monsieur ! s’écrie-t-il. Oh ! malheur à moi, car ma mémoire revient… Monsieur ! Eh bien ! moi aussi, je dirai madame ; je désapprendrai le nom d’Adèle pour celui de d’Hervey… Madame d’Hervey ! et que le malheur d’une vie entière soit dans ces deux mots ! » La forme est déclamatoire : peut-on nier que le sentiment ne soit naturel et précisément à sa place ? — Antony s’est cru aimé d’Adèle et près de la conquérir ; et, à ce moment même, elle l’a fui, elle s’est réfugiée auprès de son mari : « Elle lui racontera tout, pense l’amant ; puis, entre deux baisers, ils riront de l’insensé Antony, d’Antony le bâtard ! .. Eux rire ! Mille démons ! » Il frappe la table de son poignard et « le fer y disparaît presque entièrement ; » il éclate d’un rire sardonique : « Elle est bonne, la lame de ce poignard ! » Traduisez : « A l’heure qu’il est, elle se moque de moi avec son mari ; » faites que le héros s’écrie : « Tonnerre ! » et qu’il frappe du poing la table, on verra la vraisemblance de tout cela. Que voulez-vous ! « Mille démons ! » en 1830, c’était l’équivalent de « Tonnerre ! » en 1884, et si le poignard s’enfonçait dans la table à chaque fois qu’on y donnait un coup de poing, c’est qu’on se trouvait l’avoir à la main comme aujourd’hui l’on aurait une canne : le cri et le geste n’en sont pas moins justifiés par la circonstance. Poursuivez ce monologue, et, la rhétorique de l’époque une fois admise par convention, l’abus des points suspensifs et d’un certain vocabulaire accepté, dites si la série des sentimens ne se déroule pas dans une ordonnance digne des grands classiques : « Qu’elle souffre et pleure, comme j’ai pleuré et souffert… Elle, pleurer ! elle, souffrir ! ô mon Dieu ! .. Si elle pleure, que ce soit ma mort, du moins ! .. Oui, mais aux larmes succéderont la tristesse, la mélancolie, l’indifférence… L’oubli viendra ; .. l’oubli, ce second linceul des morts ! .. Enfin elle sera heureuse… Mais pas seule ! .. Un autre partagera son bonheur… Ah ! qu’il ne la revoie jamais ! .. » — Enfin Antony, avant de frapper le coup mortel, peut bien tenir cet étrange discours : « M’en aller ! ., te quitter ! .. Quand il va venir, lui ? .. T’avoir reprise et te reperdre ? .. Enfer ! et s’il ne te tuait pas ? .. Avoir commis, pour te posséder, rapt, violence et adultère, et, pour te posséder, hésiter devant un nouveau crime ? .. perdre mon âme pour si peu ? Satan en rirait ; tu es folle ? .. Non, non, tu es à moi comme l’homme est au malheur ! » Il peut lâcher cette harangue macabre en riant d’un « rire de crâne, » comme le Champavert de Pétrus Borel ; il n’est pas moins vrai qu’un sentiment humain provoque son bras et qu’un autre le pousse : Adèle veut mourir pour que sa mémoire ne soit pas déshonorée devant sa fille ; Antony veut
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