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L’oligarchie, qui ne sut ni se conduire elle-même ni conduire les autres, expia ses fautes à Pharsale, et, avec elle, tomba ce gouvernement qui, sous les mots trompeurs de république et de liberté, voulait que Rome et le monde restassent le butin de cent familles.

Rome abdiqua aux mains de César : le peuple et le sénat lui remirent tous les pouvoirs et par cette concentration de l’autorité, l’intérêt des gouvernés se confondit enfin avec celui des gouvernans. Mais la guerre civile et l’assassinat laissèrent peu de temps au dictateur pour exécuter les réformes qu’il méditait. Quelques-unes de celles qu’il put accomplir sont pourtant significatives.

Aux pauvres de Rome, que les révolutions avaient privés de travail, il donne le loyer d’un an ; à quatre-vingt mille d’entre eux, il distribue des terres ; pour ceux qui restent dans la ville, il régularise le service alimentaire de l’annone et il renouvelle l’obligation, imposée par sa loi consulaire aux possesseurs de biens-fonds, d’employer un tiers au moins de travailleurs libres.

Aux provinciaux il ouvre le sénat, l’ordre équestre, la cité ; et le jus civitatis, qui élève les sujets au rang des maîtres, est par lui multiplié au point que le chiffre du cens sera bientôt décuplé[1]. Lorsque l’état ne comptait qu’un petit nombre de citoyens et qu’il avait des millions de sujets, il ressemblait à une pyramide placée sur la pointe ; la pyramide repose maintenant sur une large base que l’empire élargira encore.

Les citoyens peuvent se défendre par le cri : Civis Romanus sum, et ils ont le droit d’appel, mais les sujets ne l’ont pas. Pour les protéger contre l’arbitraire des juges, César fait entreprendre la codification des édits prétoriens, et il paie les gouverneurs de provinces, afin qu’ils cessent de se payer eux-mêmes.

Quelles causes avaient fait le succès de César ? Ses qualités personnelles, le dévoûment de ses soldats et l’universelle lassitude, mais plus encore l’incapacité du gouvernement oligarchique, dont le plus fidèle représentant est ce Bibulus qui s’assoit silencieux sur sa chaise curule, comme s’il voulait y attendre, à l’exemple des consulaires de l’ancien temps, que les Gaulois arrivent.

Comme les Gracques, César périt de la main des grands, et l’état retomba pour quatorze années dans le plus épouvantable désordre. Auguste, avec moins de génie et plus de souplesse, pacifia le monde ébranlé. Il prit tous les pouvoirs républicains, mais il laissa sub-

  1. 4,003,000 en l’an 28, au lieu de 450,000 en 70. Le chiffre de 900,000 donné par le plus ancien manuscrit de Tite Live, celui de Heidelberg, s’il est véritable (cf. Mommsen, ap. Borghesi, Œuvres epigr., t. IV, p. 9), accuserait une augmentation beaucoup moins forte, mais elle suffirait encore à montrer la tendance du gouvernement impérial à accroître le nombre des citoyens.