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de services et d’honneur, est sans force, surtout lorsque l’or qu’elle possède a été ramassé dans la boue ; et beaucoup de ces parvenus n’en ont pas d’autre.

Le successeur de César n’a donc point de tendresse pour ceux que son poète favori appelle l’ignobile vulgus, mais il conserve une institution créée par les Gracques, développée par Caton, régularisée par César et dont on pourrait trouver la trace dans certaines pratiques du sénat patricien. Anciennement le patron était tenu de donner à ses cliens un morceau de terre ; Auguste, devenu le patron universel, donna aux siens un morceau de pain. L’oligarchie elle-même ne l’avait pas refusé aux pauvres.

Quelque peu de titres qu’eussent les prolétaires de la ville à s’appeler le peuple romain, ils avaient hérité de ses droits à tirer profit de la conquête du monde. Le sol provincial étant devenu propriété romaine, les sujets n’en avaient conservé la jouissance qu’à la condition de payer l’impôt en espèces et en nature, ils donnaient de l’or pour les dépenses publiques et ils livraient une partie de leurs récoltes pour l’armée, l’administration, le palais du prince et le peuple. Tout citoyen, habitant sédentaire de Rome, prenait part à ces distributions : on avait vu des consuls recevoir leur mesure de blé annonaire. Auguste réglementa ce service comme les autres ; il fixa à deux cent mille le nombre des parties prenantes : ceux qui étaient inscrits sur les listes d’attente remplaçaient les morts. La ration annuelle, 60 modii ou 520 litres de blé, ne pouvait pas plus faire vivre une famille sans travail, que les 3 francs donnés par mois à nos assistés ne les dispensent de toute prévoyance.

Un autre devoir des anciens magistrats était de célébrer des jeux qui, à l’origine, avaient été, comme ceux de la Grèce, des fêtes religieuses : on en promettait aux dieux, en échange d’une victoire et l’on portait au cirque leurs statues, puisque ayant combattu pour Rome, comme les Dioscures au lac Rhégille, ils devaient être à l’honneur après avoir été à la peine.

Les combats de gladiateurs avaient eu aussi le caractère d’une cérémonie sainte : ce rite, né auprès des tombeaux, devait apaiser les mânes, « qui aiment le sang. »

Auguste conserva ces fêtes. En remplissant des obligations qui étaient un legs de la république, et non pas la rançon d’une usurpation nécessaire, il n’avait point passé un marché avec une prétendue démagogie césarienne : l’empire, pour du pain et des plaisirs. Depuis Actium, le peuple n’a joué d’autre rôle politique que de traîner « à l’escalier des gémissemens » les condamnés et les victimes des césars.

Mais ces jeux, ces libéralités ont eu de désastreuses conséquences. La charité officielle de l’annone, bien qu’elle coûtât beaucoup moins