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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/395

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compromis en province nos chances de succès reçoit, à Bordeaux, M. Jules Simon. Alors éclate entre M. Gambetta et son gouvernement un conflit qui nous révélera le dictateur dans toute sa nudité. M. Jules Simon le prie de faire exécuter l’armistice, M. Gambetta refuse. M. Jules Simon ordonne, M. Gambetta refuse encore. M. Jules Simon menace, M. Gambetta refuse toujours. On porte ce grave différend devant le conseil municipal de Bordeaux. M. Gambetta paraît. Il prend la parole, en homme dont les desseins sont arrêtés : il veut la guerre et il la fera ; il invective les « gens de l’Hôtel de Ville[1] ; » il demande au conseil sa confiance pour mener à bonne fin la délivrance de la patrie. On l’approuve, on l’encourage, on l’acclame ; Bordeaux veut lui offrir la dictature[2]. De toutes les grandes villes, on le presse de l’accepter. Il sait que Chanzy et ses généraux veulent combattre à outrance. Ce n’est certes pas de Paris que lui viendront les désaveux, car Paris oppose son nom aux noms des Jules Favre, des Jules Simon, des Trochu, qu’il est fatigué de répéter. Vous vous croyez en présence d’un homme résolu à sauver son pays, ou à mourir au milieu des derniers combattans. Non ! Non ! le tragédien a fini son rôle. Il donne purement et simplement sa démission.

L’histoire nous a appris que M. Gambetta n’a fait preuve, soit avant la révolution du 4 septembre, soit pendant sa dictature civile et militaire, ni d’un esprit assez grand pour juger les événemens, ni d’un caractère assez fort pour les dominer ou pour leur résister. Son séjour à Saint-Sébastien, sur lequel nous n’insisterons pas, nous le montre assez habile pour profiter des événemens s’il ne sait pas leur commander. Il a reculé devant la dictature ; il dira que c’est par soumission à l’ordre légal de son pays. Il a quitté la salle des séances de l’assemblée nationale avec les derniers représentans de la Lorraine : il répétera qu’il fut leur dernier défenseur. Il a refusé de ratifier le fatal traité qui livre Metz à l’invasion germanique : il se fera l’image même de la patrie. Et maintenant que la fortune prononce entre les combattans de la guerre civile[3] ! Sans écrire une ligne, sans prononcer une parole, il attend le résultat de la lutte sur la terre étrangère.

  1. M. Gambetta appelait ainsi le gouvernement de Paris.
  2. Lire dans M. Jules Simon (Gouvernement de M. Thiers), et dans Jules Favre (Simple Récit), le récit de cet événement.
  3. Les journaux qui ont fait et soutenu la commune sont très curieux à consulter au commencement de février. Les uns, comme la feuille de Félix Pyat, appellent Gambetta « le déserteur de la révolution. » Les autres, comme la feuille de M. Rochefort, exaltent l’ancien dictateur. Au fur et à mesure que les événemens se déroulent, Gambetta est complètement oublié.