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Est-ce le politique qui a varié ? Point du tout. L’acteur a changé de rôle. Il a pris au sérieux celui que M. Thiers lui a fait entrevoir. Solidement appuyé sur le groupe de l’Union républicaine, et nullement menacé du côté de sa gauche, il peut sans danger devenir entreprenant vers sa droite. Il faut rassurer le centre gauche. Les garanties qu’il lui donne ont satisfait les plus exigeans. Il avait refusé à l’assemblée nationale le pouvoir constituant ; il vient de le lui reconnaître. Il avait ri du sénat ; il le trouve excellent sous le nom de grand conseil des communes françaises. Il s’était moqué de la république conservatrice et bourgeoise ; il a mis toute son éloquence à la défendre dans Belleville même. Directeur incontesté de l’Union républicaine, accepté par le centre gauche comme un utile allié, agréable à la gauche modérée, sinon à ses chefs, comme un collaborateur puissant, déjà il se voit maître de ce pouvoir qu’avant le 24 mai il ne pouvait ressaisir que par une révolution. Nous sommes en plein opportunisme. Comment l’habileté de M. Gambetta répétera-t-elle ce rôle que l’habileté de M. Thiers lui a soufflé ?

Les républicains avaient battu les bonapartistes et la droite, avec l’aide du centre droit, dans le vote de la constitution de 1875. Ils avaient battu le centre droit, avec l’aide des bonapartistes et de l’extrême droite, dans l’élection des sénateurs inamovibles. C’était là, certes, de la grande intrigue. M. Gambetta seul ne l’aurait pas aussi lestement conduite. Mais le délire d’orgueil commençait à le gagner ; il s’en attribua le succès et le mérite. Le rôle d’agitateur ne lui avait pas réussi ; le rôle d’intrigant, — car l’opportunisme n’est qu’une intrigue, — lui convenait mieux. Il le crut du moins, et il se prépara à se servir de tous les hommes et à les jouer tous tour à tour, y compris M. Thiers. Il avait trop présumé de ses forces.

Le parlement s’est dissous. Les élections sénatoriales du 31 janvier, sans être favorables à la république, ne sont pas contraires à l’esprit de conciliation qui a fait la loi constitutionnelle. Les élections à la chambre des députés ont donné aux trois groupes réunis de gauche une majorité considérable, mais la prépondérance à aucun d’eux. Toutefois le groupe de M. Gambetta s’est grossi de nombreuses recrues. Lui-même, s’il n’est pas l’unique vainqueur du jour, est honoré de quatre élections significatives. Paris, Marseille, Bordeaux, Lille l’ont élu après une campagne des plus actives et des plus agitées. Dans les Bouches-du-Rhône, il a brisé l’intransigeance quand elle est apparue sous le personnage de M. Naquet. Nous allons juger de la sincérité de sa dernière conversion. Plusieurs des chefs éminens du centre gauche et de la gauche modérée