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Mais si l’équipée du prince était de celles » qu’on peut désiré prévenir, une fois accomplie il était difficile, à peu près impossible même, de la désavouer. Nul doute en effet qu’à peine avisé de sa venue, le chargé d’affaires d’Angleterre, encore présent à Paris, ne vînt réclamer au nom des traités formels l’éloignement de ce visiteur suspect. L’expulsion violente d’un prince par ordre d’un roi a toujours, même de notre temps, un caractère qui répugne : c’était bien pis dans les idées monarchiques d’alors. Dans l’état des rapports des deux pays, était-ce bien la peine de s’exposer à une sorte de réprobation publique pour maintenir, pendant quelques jours encore, une paix nominale qui n’empêchait déjà pas de se battre sur terre comme sur mer, et dont on se proposait de faire disparaître, du soir au lendemain, même l’apparence ? Fallait-il montrer cette déférence à un gouvernement contre lequel on était déjà prêt à sortir en armes ? « Je ne doute pas, écrivait Amelot à Valori, qu’on ait appris à Berlin l’évasion subite de Rome du fils aîné du prétendant, et il est vraisemblable que le jugement qu’on en aura porté sera que son départ n’a pu se faire que de concert avec la France. Il est néanmoins très vrai que, bien loin que le roi y ait aucune part, Sa Majesté n’en a été nullement prévenue… On doit s’attendre que la cour de Londres en fera grand bruit. Mais, outre qu’on ne voit pas que personne puisse trouver à redire à ce que le fils du prétendant, ennuyé de son oisiveté, pendant que toute l’Europe est en armes, veuille faire une campagne, nous ne sommes plus avec la cour de Londres dans une position qui doive nous obliger de chercher à la tranquilliser et à calmer la mauvaise humeur qu’elle en pourra concevoir. » Et il ajoutait peu de jours après : « Le chargé d’affaires d’Angleterre est venu demander l’expulsion du prétendant, conformément aux traités. On lui a répondu que les traités étaient réciproques, et qu’on ferait droit à la demande de l’Angleterre, quand elle aurait réparé les contraventions sans nombre qu’elle se permettait tous les jours[1]. »

C’était en réalité offrir ses passeports à l’agent anglais : il ne tarda pas à les demander, et quinze jours après, la déclaration de guerre officielle paraissait dans toutes les gazettes d’Europe. Comme conséquence, les préparatifs qu’on faisait déjà à petit bruit à Dunkerque furent subitement et publiquement accrus. Un véritable corps de troupes fut rassemblé, destiné à traverser le canal sur des bâtimens de transport, sous la protection d’une escadre, et à

  1. Amelot à Valori, 15, 28 février 1744. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Le maréchal de Noailles au roi, 10 février 1744. — Rousset, Introduction, p. CXXXIII.