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qu’aussitôt ait succédé une telle sécheresse ? » Mais nous-mêmes, sans plus attendre, après avoir contemplé le père, nous sommes invités naturellement à regarder un peu le fils : aussi bien, cette fin de saison est-elle favorable, et M. Dumas ne s’est-il pas laissé oublier, cet hiver. Un coup de chapeau, un coup de pistolet, un coup d’épée, voilà, coup sur coup, de quoi réveiller l’attention des Parisiens. Ce coup de chapeau, c’est M. Dumas qui le refuse à la courtisane ; de ce coup de pistolet, c’est lui qui tue un amant ; de ce coup d’épée, c’est lui qui tue un mari. La Dame aux camélias à la Porte-Saint-Martin, Diane de Lys au Vaudeville, l’Étrangère à la Comédie-Française, nous ont fait revoir, en quelques semaines, trois époques de ce rare et vigoureux esprit : les deux premières, toutes voisines et pourtant distinctes, sont marquées au commencement de sa carrière ; la troisième est proche de la fin. Profitons de la conjoncture pour admirer les variations et la suite d’un génie si particulier, les dons divers et même contraires qui, selon leurs combinaisons, en forment l’identique et changeante substance ; et aussi les divers effets qu’ils produisent sur le public.

L’affaire du chapeau a son dossier : n’en retenons que l’essentiel. Au troisième acte de la Dame aux camélias, M. Duval père, figuré par l’acteur Lafontaine, se présente chez Marguerite Gautier, figurée par Mme Sarah Bernhardt ; il parait sur la scène, le chapeau à la main, et demande : « Mlle Marguerite Gautier ? — C’est moi, monsieur, » répond la jeune femme. Là-dessus, M. Duval remet son chapeau ; il le garde pour reprocher à Marguerite de ruiner son fils, et ne l’ôte que cinq minutes après, lorsqu’elle a produit les preuves de son désintéressement. Ce jeu de scène déplaît au public, ces cinq minutes lui durent une heure ; un petit frémissement d’impatience court le long des fauteuils ; un soupir de soulagement s’exhale quand M. Duval se découvre : « Enfin ! » murmure la salle. M. Sarcey, le lundi suivant, se fait l’interprète du sentiment commun ; il gourmande le comédien et lui crie : « Chapeau bas ! » M. Dumas, aussitôt, revendique la responsabilité de ce jeu de scène ; il le justifie non-seulement par des raisons tirées du caractère du personnage, mais par des raisons absolues : « Dans la même circonstance, écrit-il, j’agirais de la même façon. Je saluerais une fois pour toutes, parce que ce serait une femme que j’aurais devant moi ; après quoi, je remettrais mon chapeau sur ma tête pour bien faire comprendre à cette femme qu’après avoir rendu cet hommage banal à son sexe, je prends l’attitude d’un homme qui sait ce qu’elle a fait de ce sexe et le trafic qu’elle en tire. »

Est-ce l’auteur de la Dame aux camélias qui parle ainsi ? N’est-ce pas l’auteur des Filles de marbre ? N’est-ce pas là, reconnaissable encore, l’accent de ce Barrière, qui, par le porte-voix de Desgenais, alors que tout Paris pleurait à l’élégie passionnée de Marguerite, lança la riposte fameuse : « Allons, mesdemoiselles, passez à l’ombre, rangez