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désabuser des jacobites si je m’y étais jamais mépris : ils ne sont bons à rien, sinon pour se précipiter et ceux qui se concertent avec eux. Unissons-nous pour sauver l’empire avec les protestans d’Allemagne ; c’est par cette voie, sire, que vos aïeux ont marché et ils s’en sont bien trouvés[1]. »

Il faut rendre cette justice à Frédéric qu’il fit tête avec sang-froid à cette tempête, et, malgré son désaccord avec Chavigny, lui vint chaleureusement en aide pour la dissiper. Il s’employa avec zèle auprès du prince de Hesse pour lui persuader que la France ne pouvait avoir conçu sérieusement l’intention de détrôner un prince aussi solidement établi dans son royaume que le roi George, et qu’il ne pouvait être question que de susciter chez lui quelques mutineries qui lui donneraient de l’embarras. « Je vous prie, lui disait-il, pour l’amour de Dieu et de la patrie, n’abandonnez point le bon parti dans lequel vous étiez prêt à entrer ; .. distinguez, s’il vous plaît, le roi de France et l’empereur. Pourquoi voulez-vous faire souffrir ce dernier des actions du premier ? Songez, je vous prie, que vous prêtez le cou aux fers que les Autrichiens veulent donner à l’empire. Pour moi, quoiqu’il arrive, j’ai pris mon parti de me servir de tous les moyens que la Providence m’a donnés pour soutenir l’empereur que j’ai élu avec tout le corps germanique… Je vous conjure par tout ce que vous avez de saint et de sacré de ne point vous précipiter dans le parti que je crains que vous ne preniez. » Quelques mots murmurés à l’oreille sur l’inconvénient de sacrifier la chance prochaine d’acquérir pour soi-même la dignité électorale à l’éventualité éloignée de voir son fils appelé à la succession anglaise eurent peut-être plus d’effet encore sur le prince Guillaume que ces adjurations patriotiques. En tout cas, le premier moment passé, il se calma sensiblement et aida à faire le calme autour de lui, tout en alléguant toujours qu’il lui serait impossible de ne pas porter secours au roi son parent ; si la couronne britannique était menacée, il promit de ne lui venir en aide qu’en Angleterre même, et de ne mettre à son service aucun de ses soldats en Allemagne[2].

Mais, en attendant, par ces retards volontaires ou non, la négociation pendante à Versailles n’en était pas moins tenue en suspens, et cependant le temps s’écoulait, la saison d’agir approchait, et l’impatience du roi croissait d’heure en heure. Ne pouvant se contenir plus longtemps, il résolut, sans interrompre les pourparlers

  1. Chavigny au roi, 15, 26 mars 1744. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères. — Mémoires de Nouilles, t. V, p. 453.)
  2. Frédéric au prince de Hesse, 19 mars 1744. — Pol. Corr., t. III, p. 61. — Chavigny au roi, 23 mars 1744. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)