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que, si jamais je vous retrouve avec madame dans les conditions où je viens de vous trouver, j’use du droit que la loi m’accorde et je vous tue ! » Et à la fin, il fait comme il a dit ; content de cette sommation préalable et sans ajouter un mot, il tue Paul dans la coulisse d’un coup de pistolet qui sonne sec ; puis il rentre en scène et dit avec calme : Il Oui, messieurs, cet homme était l’amant de ma femme ; je me suis fait justice, je l’ai tué. »

Là-dessus la toile baisse ; l’auteur, sans commentaire, comme le secrétaire d’un commissaire de police, dresse procès-verbal. Quand il voyait Marguerite Gautier, la courtisane, repoussée de l’amour et du bonheur vers le désespoir et vers la mort, il nous contait ce qu’il voyait, sans diminuer la victoire de la loi sociale, mais en murmurant à demi-voix : « C’est dommage ! » Il voit ici mourir J’amant, frappé par le mari au nom de cette loi : il constate le décès et ne souffle mot. L’amant a succombé : est-ce bien fait pour lui ? Est-ce mal fait ? C’est ainsi. Le comte de Lys n’a pas été poussé au meurtre par sa jalousie et son amour comme Othello ; il s’est institué froidement l’exécuteur des volontés du code : pourquoi l’auteur serait-il moins froid ? Sans doute, il y aurait duperie à s’échauffer pour le personnage tt mauvaise grâce à s’échauffer contre : M. Dumas s’abstient.

Ainsi Diane de Lys, cette seconde œuvre du dramaturge, est posée en équilibré entre le respect de la nécessité sociale et celui de la passion : équilibre instable où l’écrivain ne pouvait se maintenir, qui fait pour les amateurs la valeur singulière de l’ouvrage et qui déconcerte le public ! Diane de Lys, à nos yeux, est l’exemplaire unique d’un procédé où l’artiste et le moraliste conspirent : voilà son prix. Par les mêmes raisons, elle inquiète le spectateur et le déroute. M. N.., dans son fauteuil, et Mme ***, dans sa loge, se doutent vaguement qu’ils assistent à une expérience curieuse et menée, en quelques passages, avec une netteté magistrale, ; mais quelle fin ils doivent souhaiter à cette expérience, et, quand la fin en est connue, ce que l’auteur en ressent et ce qu’il les invite à en ressentir, ils n’en savent trop rien, et de cette incertitude ils lui tiennent rigueur. Si Diane de Lys, cet hiver, n’a pas eu la même fortune que la Dame aux camélias, ce n’est pas seulement parce que la débutante, Mlle Brandès, si naturelle et si brave qu’elle fût, n’avait pas le génie élégiaque et pathétique de Mme Sarah Bernhardt ; c’est parce que le public n’entend pas qu’on l’intéresse à des personnes humaines pour les sacrifier ensuite en raison de leur qualité sociale : à ce jeu, il se demande si l’auteur ne se moque pas de lui. En retour, cependant, il se moque de ces qualités sociales dont l’auteur paraît entêté : ce qui l’émeut encore dans ce document de caractère mixte et met d’abord sa sympathie en branle, c’est la vie communiquée aux personnages avant qu’on les immole ; en un mot, c’est la passion.