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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/483

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et il n’est pas sûr qu’il n’y ait pour l’Angleterre des difficultés nouvelles dans ce petit pays. Il s’est hâté de retirer les troupes anglaises de l’Afghanistan, et depuis qu’il a quitté l’Afghanistan, la Russie, envahissant de plus en plus ces régions, s’est acheminée vers Merv, qu’elle occupe désormais ; elle vient même de s’assurer tout récemment, par un traité avec la Perse, d’autres avantages de territoire et de position dont l’opinion anglaise est encore vivement émue. Puis est venue la plus épineuse, la plus ingrate, la plus difficile de toutes les questions, cette affaire égyptienne avec laquelle la politique britannique a plus que jamais à se débattre. À quel mobile a obéi il y a deux ans le ministère anglais en faussant compagnie à la conférence de Constantinople pour aller seul sur le Nil ? Il a vraisemblablement obéi, sans une conviction bien vive, à un sentiment national toujours ombrageux et jaloux au sujet de l’Égypte ; il a voulu devancer toutes les autres interventions, assurer à l’Angleterre des gages sur le Nil. Il a pensé peut-être aussi que l’œuvre serait assez facile et il s’est bien trompé. Il s’est jeté sans le savoir, sans le vouloir, dans des embarras qu’il a lui-même aggravés par ses incessantes tergiversations, voulant abandonner le Soudan et ne l’osant pas, expédiant des forces à Souakim pour les rappeler aussitôt, envoyant Gordon à Khartoum, pour le livrer à son sort, mettant la main sur l’administration et les finances de l’Égypte pour hâter la désorganisation du pays. Il a fini par ne satisfaire en réalité, ni ceux qui réclament avec âpreté l’établissement du protectorat anglais au Caire, ni ceux qui veulent qu’on se hâte de dégager l’Angleterre de ces complications égyptiennes.

De tout cela il résulte que M. Gladstone se trouve peut-être assez sensiblement atteint dans son crédit, dans son autorité de chef du gouvernement libéral. Sa politique extérieure n’a produit que des mécomptes, que l’opinion anglaise ressent avec une vivacité croissante, et c’est ce qui explique comment M. Gladstone, après avoir été l’homme le plus populaire de l’Angleterre, était presque sifflé ces jours derniers à l’exposition d’hygiène, tandis que, dans une réunion tenue par l’association patriotique à Saint-James’s Hall, des orateurs ont fait violemment le procès de sa politique ; Il ne faut rien grossir sans doute. C’est devant la chambre des communes que se vide en ce moment le procès de la politique ministérielle, et M. Gladstone a encore assez de puissance, assez d’influence pour garder sa majorité. Sa position reste toujours critique cependant, et voilà pourquoi le ministère lui-même est intéressé à faciliter par sa bonne volonté, par son esprit de conciliation, la réunion d’une conférence qui peut l’aider à trouver le moyen de sortir honorablement de ces inextricables difficultés égyptiennes.

CH. DE MAZADE.