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dix sur les degrés d’un escalier, et, pour ceux-là, tout le monde peut donner son avis sur la ressemblance. Ils sont bien connus des Parisiens, ce sont les enfans de M. de Lesseps. Le groupe se sauve imparfaitement de l’aspect d’une photographie agrandie; mais on ne saurait être sévère à cette œuvre, si l’on songe aux difficultés presque insurmontables qu’elle présentait. On trouve toutefois, et avec raison, que pour la finesse des traits et le charme ingénu et pénétrant des physionomies, l’art du peintre est resté en-deçà de la nature. M. Edouard Bertier est moins ambitieux que M. Pelez, il n’a peint qu’un seul enfant, mais avec quelle crânerie et avec quelle franchise de brosse! Le gamin revient de l’école, portant sa serviette pleine de livres. Sa toque en arrière, la tête un peu penchée à droite, une main dans sa poche, il regarde droit devant lui, un sourire d’espiègle plissant les commissures de sa bouche. Hardiment campée, vivante et expressive, cette figure est vraiment enlevée de verve. A côté de cet écolier, l’enfant de M. Humbert paraît maussade et atone.

M. Hébert a mis toute sa poésie et toute sa morbidesse dans le portrait de cette jeune fille aux cheveux flavescens et aux yeux de saphir. Le maître expose aussi une tête de Muse. C’est une brune, au teint bistré, aux yeux de velours, aux lèvres sanglantes. Le sein est nu, une gaze diaphane bleu foncé tombe sur l’épaule, une couronne, des pendans d’oreilles et un collier d’or brillent dans les cheveux et sur la chair. La figure s’enlève sur un fond de verdure d’un ton très vif, qui prend à l’entour de la tête un éclat de pierre précieuse. Le bronze de la peau, l’or des bijoux, l’émail du fond, le nuage bleu de la draperie forment une harmonie de couleurs hardie et vibrante d’une intensité extraordinaire. Le type est superbe, c’est la vis superba formœ. Il y a au Salon nombre de tableaux auxquels on prodigue les louanges, mais d’une manière toute platonique; on serait fort en peine de les avoir chez soi. On aimerait au contraire avoir toujours sous les yeux la Muse de M. Hébert. M. Doucet aurait bien fait de tremper son pinceau sur la palette du maître des Cervarolles pour y prendre la couleur locale qui convenait au portrait de Mme Galli-Marié dans le rôle de Carmen. Le costume est enlevé avec brio; mais les carnations trop roses, qui ne sont ni dans la vérité de l’original, ni dans la vérité du personnage dramatique, enlèvent toute ressemblance et tout caractère au portrait. Après une étoile du chant, voici une étoile de la danse : Mlle Zucchi, peinte par M. Clairin, devant un portant et prête à entrer en scène. Le maillot, les bras, la jupe de tulle, très légère d’aspect et très juste de ton, méritent des éloges. La tête est un peu affétée et les carnations sont un peu plâtreuses. Il est juste de dire qu’une boîte de poudre de riz, posée sur un