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Il existe une autre sorte de journal qu’on pourrait appeler un journal intime et que les Chinois ont coutume d’écrire. Ils y insèrent leurs impressions de voyage, les divers événemens importans auxquels ils assistent ; en général, tout ce qui mérite un souvenir. Mais si ces relations traitent de questions concernant la politique, elles ne peuvent être publiées tant que la même dynastie est souveraine du trône. C’est une loi qui peut paraître excessive ; mais elle atteint son but si l’on veut qu’il y ait une vérité historique absolue.

La presse est une sorte de statistique des opinions du jour, — je prends le jour comme unité ; — à ce point de vue, les journaux ont une grande utilité pratique lorsque ces opinions sont nombreuses. En Chine, où la presse n’existe pas, il n’est donc pas très aisé de rechercher quelles sont les opinions. Néanmoins, dans l’ordre politique, nous avons aussi nos conservateurs et nos démocrates ; nous avons les partisans des anciennes traditions de l’empire qui ne veulent à aucun prix faire de concessions à l’esprit nouveau. Ils pourraient fraterniser avec les réactionnaires de tous les pays. L’esprit démocratique, dont nous avons aussi de nombreux partisans, n’a pas les mêmes tendances qu’en Occident, où la démocratie admet une infinité de sens qu’il ne m’appartient pas de définir ici, mais qui, assurément, ne seraient pas du goût de nos démocrates. Ceux-ci croient simplement servir les intérêts du peuple et de manière à ce que le peuple en reçoive quelque profit. Voilà, je crois, une distinction qu’il était utile de faire.

Ces démocrates admettent ce principe « que ce qui est utile à la généralité est bon ; » et, dans beaucoup de cas, ils ne s’opposeront pas à une réforme sous prétexte d’obéir à des scrupules que d’autres tiennent pour inviolables.

La voix du peuple s’appelle aussi en Chine la voix de Dieu ; c’est la devise qui pare le blason découronné de tous les peuples de la terre, comme s’ils étaient les descendans d’une antique dynastie issue de Dieu même. Cette formule existe chez tous les peuples ; nos 400 millions d’habitans n’en ignorent pas le sens profond, et cette voix se fait entendre jusqu’au milieu des conseils du gouvernement quand les circonstances l’exigent.

Le peuple est, en effet, représenté par les lettrés qui se rendent des provinces dans la capitale ; et, quoiqu’ils n’aient aucun titre officiel, ils ont cependant le droit d’adresser des requêtes dans lesquelles ils exposent les réclamations nécessaires ; ces requêtes sont faites au nom du peuple.

C’est là une sorte de mandat sans élection ; les érudits et les lettrés ont cet honneur, qu’ils doivent à la culture de leur intelligence, d’être les avocats naturels du peuple pour faire entendre la voix de