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première vue, la situation de l’Égypte ne s’améliore pas, que l’insurrection conduite par le mahdi dans le Soudan paraît faire de singuliers progrès, que l’envoyé anglais, Gordon, semble toujours fort en péril à Khartoum, que le désarroi ne fait que s’accroître dans les conseils du khédive, au Caire ou à Alexandrie, et que par contrecoup le cabinet de Londres, qui a la responsabilité de toutes ces complications, a plus que jamais de graves embarras. Embarras sur la conduite qu’il doit suivre dans la vallée du Nil, embarras sur ce qu’il peut faire pour rassurer l’opinion de plus en plus émue et impatiente, embarras sur les réponses qu’il peut opposer aux interpellations incessantes du parlement, le ministère anglais reste aux prises avec tout cela et semble par instans ne plus savoir de quel côté se tourner. Il se trouve, pour le moment, en face d’une sorte de déchaînement de l’opinion, soulevée en faveur du général Gordon, abandonné à son sort dans la ville lointaine de Khartoum. — Il faut à tout prix aller délivrer Gordon, qui ne paraît guère en mesure de se délivrer lui-même! Si une expédition est nécessaire, qu’à cela ne tienne, on enverra un corps d’armée à travers le désert, on recommencera dans des conditions meilleures et avec des forces suffisantes, avec dix mille hommes au besoin, la campagne si malheureusement interrompue du général Graham! L’Angleterre ne peut, en aucun cas, laisser périr l’homme qu’elle a envoyé pour la représenter, qui pour elle s’expose à tous les périls, et dont on n’a pas même de nouvelles. Que fera le gouvernement de la reine, assailli de toutes parts? Premier embarras. Le cabinet paraît avoir eu un moment la velléité de prendre quelque résolution, d’envoyer effectivement un corps d’armée; on l’a cru tout au moins disposé à tenter l’aventure, et on a même prétendu que lord Wolseley, le vainqueur de Tel-el-Kebir, aurait été appelé à exprimer son opinion sur une expédition dont il prendrait le commandement. On l’a dit, puis on a recommencé à douter. Rien ne prouve jusqu’ici que le ministère ait changé d’avis, qu’il ait réellement l’intention d’engager une campagne dans le Soudan, où il a déclaré si souvent ne pas vouloir aller. Évidemment, ce que le cabinet de Londres fera en Égypte dépend, jusqu’à un certain point, de l’issue de la conférence européenne qu’il a proposé de réunir, et l’œuvre, la réunion même de la conférence, dépend aujourd’hui en partie des négociations préliminaires engagées entre l’Angleterre et la France. Or c’est là justement une autre difficulté; c’est un nouveau thème de récriminations et d’attaques de la part de l’opposition et des journaux de Londres contre les ministres de la reine, à qui on s’efforce d’arracher le secret des négociations.

Depuis quelques jours, le cabinet est incessamment assailli d’interpellations sur les limites des délibérations éventuelles de l’Europe, sur l’objet précis de ces négociations qui se poursuivent entre Londres et