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et pour le mari, emplois et traitemens honorifiques. On nomma Buonaventuri valet de chambre de monseigneur : ne fallait-il pas occuper Mercure pendant que Jupiter visitait Alcmène, et ses visites se renouvelaient toutes les nuits, si bien que le père en prit texte d’une de ces missives où le blâme se dérobe sous l’enjouement : « Les promenades solitaires et nocturnes par les rues de Florence ne sont bonnes ni pour l’honneur, ni pour la sûreté, surtout lorsqu’on se fait de ces promenades une habitude de chaque nuit, et je ne puis vous dire quels sont les mauvais résultats qu’une pareille conduite peut produire. » Couronné grand-duc et son mariage autorisé par le pape, Cosme était revenu de Rome en toute hâte, et, quinze jours après, mandant au palais Pitti le curé de sa paroisse, il épousait Camilla Martelli. Or, tandis qu’il mettait ainsi l’ordre dans ses affaires, le bonhomme n’entendait pas que son coquin de fils vînt gâter la situation par ses bruyantes équipées. « Ne me brouillez pas avec l’empereur, surtout avant votre mariage! » Cosme, à ce moment de sa vie, a la prudence morne du savant qui ne se fie qu’à l’expérience; il arrange et dispose tout selon les besoins rigoureusement indiqués de l’existence journalière. Laurent le Magnifique, au sortir du tracas des affaires, s’occupait de Dante et de la philosophie de Platon : Cosme, à l’issue du conseil, trempait de l’acier, classait des plantes, tripotait des poisons en même temps qu’il inventait une théorie de l’impôt et, dans son laboratoire chimique de Saint-Marc, combinait le mariage de son fils avec une archiduchesse d’Autriche : œuvre importante qu’il sut mener à fin en pactisant avec ses propres vices et ceux de son fils, du moins pendant la trêve des fiançailles.

Le duc François et Cosme son père avaient le plus vif intérêt à tenir cette intrigue secrète jusqu’au jour où le mariage du jeune prince et de l’archiduchesse serait accompli. Mais, sitôt venu le lendemain des noces, François se reprit à ses amours avec si peu de mystère qu’il choisit un logement pour Bianca dans la partie la plus agréable de son palais et donna tout l’éclat imaginable à l’attachement que lui inspirait sa maîtresse. C’est en 1563, très peu de temps après que Bianca commence à jouer un rôle : elle entre à la cour tête haute, objet de toutes les admirations et de tous les hommages. François ne voit, n’écoute plus qu’elle; ses moindres caprices sont exaucés sur l’heure, ses volontés obéies même dans l’avenir. Il jure de l’épouser si jamais elle et lui se retrouvent libres. Bianca prend note du serment et déjà songeait au moyen de se séparer de son mari lorsque la mort vint opportunément l’en débarrasser.

Sur celui-là aussi les faveurs de cour avaient grêlé; il était chambellan, ministre, associé à la régence : que n’était-il pas? Tant de grandeurs l’avaient ébloui; il en oublia son passé misérable, abusa, dilapida, traita de son haut la noblesse florentine. C’était agir