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compromettre absolument près des gens qui savent ou qui croient savoir ? C’est surtout dans les monographies du genre de celle que nous écrivons qu’il vous faut appuyer votre assertion sur le fait anecdotique et le raconter non plus pour s’y complaire, mais pour prouver. Quand je dis, par exemple, que Bianca Capello favorisa les amours de sa belle-sœur avec Troïlo Orsini, qu’importe aux lecteurs mon allusion à cette anecdote si, par respect pour la grande histoire, je dois leur laisser ignorer l’anecdote elle-même ?

Cosme avait cinq fils et quatre filles.

Les fils étaient : François, dont le règne va se déroulant devant nous ; Ferdinand, qui régna après François ; Pierre, qui tua sa femme Éléonore de Tolède ; Jean et Garcias : Jean, qui périt assassiné par Garcias, lequel fut à son tour poignardé par son propre père, qui « ne voulait pas de Caïn dans sa famille. » Les quatre filles étaient : Marie, Lucrèce, Isabelle et Virginie. Au sujet d’Isabelle, ce que rapportent les mémoires manuscrits dépasserait tous les scandales. Celle-là était la bien-aimée de son père ; un jour que George Vasari, caché par son échafaudage, peignait le plafond d’une des salles du Palais-Vieux, il vit entrer Isabelle dans cette salle ; c’était vers l’heure de la sieste. Ignorant que quelqu’un se trouvait dans la même pièce, elle tira les rideaux, se coucha sur un divan et s’endormit. Cosme entra à son tour, aperçut sa fille, et bientôt Isabelle jeta un cri. Mais, à ce cri, Vasari cessa de regarder et ferma sagement les yeux, pareil au chasseur qui fait le mort pour se sauver des griffes de l’ours. L’année d’ensuite, Isabelle fut mariée à Giordano Orsini, duc de Bracciano ; triste et sombre alliance, orageuse dès son début. Orsini habitait à Rome et Cosme exigeait que sa fille vécût à Florence, près de lui. Cette séparation continuelle eut pour résultat chez l’homme, — froid et brutal, — l’indifférence ; chez la jeune femme, — ardente et passionnée, — l’oubli de toute retenue. Un proche parent de Giordano, nommé Troïlo Orsini, était devenu l’amant d’Isabelle, mais avec une aussi galante compagnonne les intrigues se croisaient aisément, et Bianca Capello menait sa gloire à les empêcher de tourner à mal, sans y réussir toujours ; quelque peine qu’elle se donnât, sur l’intrigue d’hier se greffait celle d’aujourd’hui et c’était un vrai casse-tête de se reconnaître au milieu de ces complications. Troïlo adorait d’autant plus follement sa maîtresse qu’il s’imaginait être le seul, et le malheureux avait un fortuné rival, Lelio Torello, page du grand-duc François. Malgré les efforts de Bianca, qui manœuvrait la double affaire, ils se rencontrèrent, et Troïlo Orsini tua d’un coup de poignard Lelio Torello, au grand soulagement d’Isabelle, que déjà sollicitaient d’autres amours où sa fidèle amie ne manquerait pas d’intervenir,