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force des mauvais exemples, en devenant souillé de ce que nous appelons « la poussière du monde. »

Confucius classe parmi les choses dangereuses la femme et le vin. L’histoire universelle se charge de lui donner raison. Arrive-t-il un scandale, de quelque nature qu’il soit, la première pensée est celle-ci : Cherchez la femme ! L’Occident offre cette particularité remarquable qu’il présente l’exemple et la critique : il est donc aisé de s’éclairer. Cherchez la femme ! est un dicton qui n’aurait pas son application chez nous ; il faut pour le comprendre traverser l’Oural et même aller plus loin vers le couchant, où alors vous trouverez la femme.

Je suis certain que ces observations n’ont jamais été faites à propos de nos mœurs, le goût étant de les critiquer avant tout et de les trouver… chinoises, c’est-à-dire extravagantes. Leur grand défaut, — et tout esprit sincère en conviendra avec moi, — c’est qu’elles sont trop raisonnables. Les grands enfans sont comme les petits, ils n’aiment pas les prix de sagesse. C’est le caractère vrai de la société occidentale : la honte de paraître sage. On voudrait bien l’être, mais on se pare du mauvais exemple comme d’une action qui distingue, et ce plaisir-là pervertit, car c’est jouer avec le feu.

Nous sommes restés sérieux… Ah ! le mot est violent ; mais qui veut la fin doit prendre les moyens, et si nous avons le bonheur dans la famille, c’est que nous avons supprimé… les tentations. La gaîté en souffre un peu, mais les bonnes mœurs se maintiennent. Et puis, maintenant, les voyages sont si faciles, — nous avons l’Europe !

Je ne voudrais pas cependant laisser supposer que le monde chinois, et principalement la jeunesse, soit enchaîné par des coutumes tyranniques. Tout le monde connaît les exceptions, dont il est inutile de parler. Mais on a présenté comme une exception ces bateaux appelés bateaux de fleurs qui se trouvent aux abords des grandes villes, et que certains voyageurs s’entêtent à vouloir dépeindre comme des lieux de débauche. Rien n’est moins exact.

Les bateaux de fleurs ne méritent pas plus le nom de mauvais lieux que les salles de concert en Europe. Il suffirait de conduire en aval de Paris, sous les coteaux de Saint-Germain, la frégate qui moisit au pont Royal et de lui donner un air de fête qu’elle n’a plus pour en faire un bateau de fleurs.

C’est un des plaisirs favoris de la jeunesse chinoise. On organise des parties sur l’eau, principalement le soir, en compagnie de femmes qui acceptent des invitations. Ces femmes ne sont pas mariées ; elles sont musiciennes, et c’est à ce titre qu’elles sont invitées sur les bateaux de fleurs.

Lorsque vous voulez organiser une partie, vous trouvez, à bord, des invitations toutes prêtes sur lesquelles vous inscrivez le nom de l’artiste, le vôtre, et l’heure de la réunion.