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essayant de marquer plus nettement qu’il n’a fait les différences qui caractérisent les aptitudes esthétiques de ces deux nations.

Il est certain qu’aussi loin qu’on remonte dans leur histoire, les Chinois ont toujours manifesté un goût très prononcé pour la nature. Nous en trouvons la preuve dans cet art des jardins qu’ils ont porté à un très haut degré de perfection bien avant tous les autres peuples. Plusieurs siècles avant notre ère, leurs empereurs avaient, à grand renfort de dépenses et même de cruautés exercées envers leurs sujets, créé des merveilles qui l’emportaient de beaucoup sur les entreprises les plus fastueuses des souverains de l’Asie ou de l’Europe. Sous la dynastie des Han, les jardins impériaux formaient une véritable province et n’exigeaient pas moins de 30,000 esclaves pour leur entretien. Les arbres, les fleurs et les animaux les plus rares y étaient réunis. À ces beautés naturelles s’ajouta par la suite le luxe des statues, des constructions de toute sorte, dorées ou revêtues de porcelaines, et de tout ce qui pouvait concourir à l’ornement de ces parcs immenses. Plus tard, sous les Ming, on était revenu au goût primitif. Débarrassés de ces additions étrangères à la nature, les jardins de plaisance devaient offrir un aspect assez semblable à celui des jardins anglais, auxquels on croit d’ailleurs qu’ils ont servi de modèles. C’est, du moins, l’exemple des Chinois qu’invoque l’architecte Chambers, qui passe pour en avoir introduit la mode chez nos voisins, vers le milieu du siècle dernier[1]. Dans les meilleurs types de ce genre, les Chinois se sont appliqués à provoquer les impressions qu’excitent en nous les beautés de la nature elle-même en réunissant avec art tous les élémens pittoresques qui peuvent récréer nos regards. Au moyen d’artifices ingénieux dans le groupement des arbres, dans la disposition des massifs, et l’aménagement des perspectives, ils parviennent à composer sur le terrain de véritables paysages. C’est ainsi qu’en plaçant dans le lointain des constructions de dimensions plus restreintes, peintes de couleurs neutres, et des arbres plus petits aux feuillages moins apparens, ils agrandissent l’horizon et procurent au spectateur l’illusion d’espaces plus considérables que ceux dont ils disposent en réalité. Mais ces procédés, d’un emploi toujours délicat, aboutissent souvent à des bizarreries tout à fait choquantes. Au lieu de se conformer discrètement aux indications que leur fournissent la configuration du sol et le caractère de sa végétation, il semble, en bien des cas, que les Chinois prennent plaisir à torturer la nature, en la façonnant à outrance, en accumulant sur un étroit espace une foule d’acûid3ns invraisemblables : des roches aux formes étranges, des arbres rabougris taillés de mille façons, offrant

  1. Designs of Chines: buildings, par Chambers. Londres, 1757.